Publié le Samedi 13 novembre 2021 à 13h57.

Répression et élections en Algérie : les questionnements

L’Algérie va-t-elle devenir définitivement une prison pour celles et ceux qui résistent activement à la désespérance qui semble s’installer partout ? La normalisation politico-institutionnelle autoritaire entamée par Gaid Salah et continuée par ses successeurs se fait sur le dos des activistes du hirak et de la transition démocratique et sociale auquelle le hirak a aspiré.

Le retour de la harga (émigration « clandestine »), l’exil de l’intelligensia universitaire et scientifique, la crise aigüe du pouvoir d’achat, l’engouement marginal pour le scrutin local : autant d’éléments qui confirment l’échec d’un scénario répressif et autoritaire qui a tourné le dos aux revendications populaires. La conjoncture sécuritaire, la pandémie comme la tension avec le Maroc ne justifient nullement cette pression exercée sur la société et ses élites pour revenir à un patriotisme de pacotille où la pensée unique met en prison la pensée critique.

Les rapports de forces ont douloureusement changé

Est-il acceptable de faire subir un harcèlement judiciaire et policier à Amira Bouraoui, à Abdenour Ait Said, à Dalila Touat et d’autres qui continuent à pâtir de ce scénario autoritaire qui accentue le divorce entre le peuple et ses gouvernants ? Peut-on se taire devant des condamnations qui vont de un an à  huit ans de prison pour certains hirakistes trop facilement accusés de « subversion » ? C’est vrai, les rapports de forces ont douloureusement changé. Le pouvoir garde l’initiative sur tout ce qui est politique car la société est marquée par un déficit énorme de conscience politique citoyenne et d’organisation. Ce vide, dans un contexte anti-hirak, suscite des retournements multiples et parfois surprenants. Des compagnons de luttes courageux étalent leur photo sur des listes électorales. D’autres réduisent le hirak à une jacquerie plébéienne qui a mal tourné. Sommes-nous dans la déraison et eux dans la conscience que l’urgence est ailleurs ? Le temps apportera ses réponses quand l’illusion produira le désenchantement. La peur, la lassitude, l’article 87-bis, un champ politique impuissant, des élites désengagées à un niveau affolant, les pressions liées à l’emploi et la précarité sociale et familiale poussent certainement à se focaliser sur l’immédiateté du quotidien, sur les enjeux de métier ou de territoire, sur autre chose y compris la survie mentale d’un « moi » abîmé.

« Le hirak, c’est moi »

De même, le pouvoir politique et ses décideurs se laissent aller à l’idée que le cycle de crise ouvert par le hirak est fini. « Le hirak, disait Tebboune, c’est moi ». L’agenda électoral et institutionnel se fait malgré le désintérêt flagrant et même reconnu officiellement. La caricature du politique est poussée a l’extrême dans les modes d’expression et de communication de Tebboune mais aussi dans l’Assemblée populaire nationale (APN) où des interventions de députés nous interpellent sur la santé politique et mentale de certains sans parler du recadrage des médias (certains considérés comme indépendants) glissant facilement vers l’ambiance « article 120 »1. La diaspora tente de faire contrepoids à ce rouleau compresseur de la normalisation politique mais cet effort ne peut remplacer l’action politisée, citoyenne et organisée de celles et ceux qui aspirent à un changement systémique pacifique.

L’Algérie reste notre nation historique. Sa survie n’est pas dans le sécuritaire ni dans l’idéologique. Elle est dans une construction collective où le pouvoir comme la société doivent être configurés dans un socle où démocratie et justice sociale donnent à la souveraineté populaire toutes les possibilités de se réaliser. Restons sur cette utopie car elle est historiquement possible et même une fatalité pour cette Algérie espérée.

  • 1. Référence à l’article 120 des statuts du FLN, adopté en 1980 : « Le parti du Front de libération nationale joue un rôle d’impulsion, d’orientation et de contrôle vis-à-vis des organisations de masse, sans se substituer à elles ou affaiblir leurs capacités d’initiative. Ne peut assumer des responsabilités au sein des organisations de masse que celui qui est militant structuré au sein du parti. Le Comité central arrêtera les étapes d’application de ce dernier principe. »