Vladimir Poutine a très certainement trouvé meilleur accueil au fort de Brégançon auprès de Macron, tout comme ses ministres de la Défense et des Affaires étrangères (Choïgou et Lavrov) auprès de leurs homologues français (Parly et Le Drian), que les candidats de Russie unie auprès des électeurEs, le 8 septembre. Là, Poutine et les siens se sont pris une baffe.
C’est particulièrement vrai aux municipales à Moscou, la mégapole phare dont le budget se chiffre en dizaines de milliards d’euros, où 19 circonscriptions sur 45 ont été perdues. Mais les mauvais scores se sont égrainés d’ouest en est du pays, de Saint-Pétersbourg à Khabarovsk où Russie unie, le parti de Poutine, qui avait déjà essuyé un sérieux revers à l’élection du gouverneur en 2018, n’a plus que 2 sièges de conseillers municipaux sur 36 (certes pas toujours au profit de candidats plus reluisants politiquement !).
Deux étés chauds
Ces résultats électoraux arrivent sur fond de mobilisations sociales et politiques qui ont marqué, deux étés de suite, tout l’immense pays : en 2018 contre une réforme des retraites ; cette année contre l’acharnement du pouvoir à refuser des candidatures qu’il estimait dérangeantes. Pour ces dernières élections, municipales surtout, le bras de fer a été sévère. Les manifestations ont été massives – près de 60 000 personnes le 10 août à Moscou – et répétées. Elles n’ont pourtant été que la partie visible de la contestation. Ici et là, dans de nombreuses circonscriptions, ce furent autant de combats acharnés mobilisant une partie de la population, pour rassembler les signatures permettant de se présenter1, les déposer, trouver des moyens de poursuivre la lutte devant leur rejet par les autorités, jusqu’à parfois, in extremis, des négociations pour tenter de faire admettre des candidats rejetés par le pouvoir sur des listes du Parti communiste ou de Iabloko, partis agréés par le système. Et le pouvoir n’y est pas allé de main morte : répression, emprisonnements, procès... sur fond d’une virulente campagne politique contre ces opposantEs qui auraient propagé la « lèpre orange », nouvelle « révolution de couleur » fomentée par l’Occident...
Navalny, seule menace ?
Poutine et les siens ciblent tout particulièrement Alexeï Navalny qui, depuis des années s’est fait le champion d’une lutte anti-corruption et d’une démocratie vagues, et s’est taillé une popularité dans un milieu bourgeois et petits-bourgeois citadin par ses multiples entrées et sorties de prison. Les élections municipales de 2013 à Moscou l’avaient intronisé, avec 30% des voix, concurrent n°1 de Poutine. Cette fois, lui et ses partisans n’ont pas été autorisésà se présenter et Navalny en a appelé à un « vote intelligent » : un « tout sauf Poutine ». Est-ce à cet appel qu’il faut attribuer le camouflet infligé à deux figures moscovites du pouvoir, éliminées, Andreï Metelsky, chef de Russie unie dans la capitale, et Valéria Kassamara, directrice adjointe d’une grande école d’économie, comme l’augmentation des scores du PC voire de Iabloko ? Si l’on en juge par la très faible participation électorale (21 %, pas nouveau), l’appel n’a pas eu de fort retentissement. Mais d’autres candidats que ceux de Navalny, plus préoccupés des questions de mode et niveau de vie des classes populaires, ont mené cette campagne reflétant un bras de fer plus vaste, dans le pays, entre des dizaines de millions de travailleurEs, jeunes et retraitéEs privés de toute représentation démocratique, et les candidats des riches, patrons et actionnaires d’entreprises publiques ou privées qui sous la protection de Poutine se font « un pognon de dingue ».
Pour Poutine, sont surtout menaçantes les colères et mobilisations venues d’en bas, l’aspiration des classes populaires à des libertés démocratiques, d’organisation et d’association, politiques et syndicales, qui sont une condition pour la défense d’intérêts de classe.
Michelle Verdier
- 1. Il faut obtenir la signature de 5000 administrés de la ville, qui sont soumises à une commission qui les valide... ou non ! Des dizaines de candidatures ont été rejetées.