Alors que l’opposition a remporté les élections municipales en s’emparant de plusieurs grandes villes, notamment la capitale Dakar, Macky Sall, le président en titre du pays, tente par tous les moyens d’empêcher l’opposition de réitérer un autre succès électoral lors des élections législatives. Une épreuve de force qui se joue sur fond de crise sociale.
C’est donc une stratégie de tension qui a été mise en place dès la prise de fonction des nouveaux maires. Des recours préfectoraux s’abattent contre les premières mesures des édiles. À Ziguinchor, la plus grande ville de Casamance, remportée par Ousmane Sonko, le principal opposant de Macky Small, la préfecture a contesté le remplacement des noms, issus du passé colonial des rues de la ville, par d’autres plus liés à l’histoire du pays. Un changement de nom revendiqué par les élus comme un acte de dignité pour les SénégalaisES. Autres mesures attaquées, la création d’un service civique communal ou la réorganisation interne de la commune. À Dakar, l’administration a introduit un recours pour contester l’embauche à la mairie de Guy Marius Sagna, un des principaux activistes de la gauche radicale, très actif dans la lutte contre l’impérialisme français très présent dans le pays.
Écarter l’opposition
Désormais, Macky Sall s’attaque au droit de l’opposition de participer pleinement aux élections législatives en se réfugiant derrière la décision du Conseil constitutionnel. La haute Cour a purement et simplement annulé la liste électorale des titulaires de la coalition d’opposition Yewwi Askan Wi (YAW) (Libérer le peuple) car une même personne figurait aussi sur la liste des suppléants. Les principaux dirigeants de l’opposition ne pourront donc pas concourir aux élections législatives qui doivent se tenir le 31 juillet 2022. Macky Sall argue que sa liste suppléante a été invalidée du fait du non-respect de la parité. Une mesure bien moins handicapante pour la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (S’unir autour d’un même espoir). Le but de Macky Sall est de remporter coûte que coûte la majorité des 165 sièges à pourvoir pour continuer sa politique libérale.
La dérive autoritaire du pouvoir
Une première manifestation de plusieurs dizaines de milliers de personnes a eu lieu le 8 juin pour protester contre la mise à l’écart de la liste menée par l’opposition. Devant le succès, le pouvoir a entrepris désormais d’interdire toutes démonstrations de l’opposition. Cette dernière a maintenu son appel à manifester le 17 juin. Une violente répression s’est abattue sur les manifestantEs. Trois personnes ont été tuées dont au moins une par balle à Ziguinchor, 200 manifestantEs ont été interpellés dont deux députéEs, Déthié Fall et Mame Diarra Fame. Le premier a été condamné à six mois de prison avec sursis. Quant à Ousmane Sonko, les forces de l’ordre l’ont empêché de sortir de sa résidence. Si la justice sénégalaise se montre extrêmement pointilleuse pour écarter une liste, elle prend bien plus de liberté quand il s’agit d’ignorer la décision de la Cour de justice de la Cedeao du 31 mars 2022 condamnant le Sénégal pour attenter au droit de manifester.
En effet les violences viennent du fait que les manifestations sont interdites et que les forces de l’ordre ont pour mission d’aller à l’affrontement contre des manifestantEs pacifistes.
Le ras le bol de la population
À l’appel d’Ousmane Sonko, les populations étaient invitées à manifester leur mécontentement à propos de la dégradation des conditions de vie par un concert de klaxons et de casseroles. Le chômage des jeunes est structurel, seul un tiers des jeunes diplômés trouve un emploi. 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et la protection sociale ne bénéficie qu’à une partie infime de la population. Cette situation pousse une partie des jeunes à tenter de rejoindre l’Europe au prix de leur vie. L’incendie d’une maternité vétuste provoqué par un court-circuit électrique, dans lequel onze bébés ont trouvé la mort, reflète l’état des infrastructures sociales du pays.
Si YAW avait initialement prévu d’appeler à une nouvelle manifestation, celle-ci a été annulée, sanctionnant un changement de stratégie. L’idée désormais est de participer au scrutin avec la seule liste des suppléants et de gagner les élections. Une façon d’écarter la menace d’un troisième mandat présidentiel. Si la Constitution n’autorise que deux mandats consécutifs, la présidence entretient le doute sur cette question.
Cette affaire n’est pas nouvelle au Sénégal. Le prédécesseur Abdoulaye Wade avait lui aussi tenté de s’éterniser au pouvoir en imposant un troisième mandat avec l’aval de la Cour constitutionnelle. Son Premier ministre de l’époque avait mené campagne en fustigeant ce comportement antidémocratique et avait remporté l’élection présidentielle. Il s’agissait d’un certain Macky Sall.