Le massacre colonialiste, raciste, commis il y a 80 ans, le 1er décembre 1944, par l’Armée française de la Libération à l’encontre des tirailleurs « sénégalais » dans le camp militaire de Thiaroye (banlieue de Dakar) reste largement méconnu, victime des mensonges de l’État français 1.
Quand il en reconnaît l’existence, c’est pour en occulter l’ampleur, la nature et la responsabilité des autorités d’alors qui se prétendaient les championnes de la démocratie contre la barbarie fasciste. Aujourd’hui, le massacre est même récupéré à des fins patriotiques : le 18 juillet, l’Office national des combattants et victimes de guerre (sous tutelle du ministère des Armées) a attribué la mention « Morts pour la France » à six d’entre eux. En fait assassinés par la France !
Tuer toute idée d’émancipation
Ils sont plus que six tués ce jour-là. Officiellement, 35. Chiffre contesté par les historienEs dont certainEs parlent de plusieurs centaines. Ces soldats — recrutés en 1939-1940 dans les colonies de l’Afrique occidentale française (AOF), emprisonnés dans des camps allemands en France (les nazis refusant les Noirs sur le sol germanique), libérés puis rapatriés (afin notamment de « blanchir » l’armée française à l’approche de la Libération) — réclament alors ce qu’on leur promet depuis des mois : le paiement des arriérés de leur solde de captivité, d’ailleurs fixée à un taux inférieur à celui des prisonniers français. La réponse des autorités coloniales et militaires, digne des nazis, consiste à rassembler des centaines de tirailleurs sur une esplanade du camp. Abattus à la mitrailleuse, ils sont jetés dans des fosses communes. Des blessés sont achevés.
Le général Dagnan, commandant les troupes sur place, justifie la tuerie en invoquant, outre une inexistante rébellion armée, la crainte de l’état-major que ces soldats « forment le noyau agissant de tous les groupements hostiles à la souveraineté française ». Tout comme pour les massacres du Constantinois (survenus peu après), ce crime d’État est conçu comme un « coup de bistouri » (dixit le général de Boisboissel, commandant supérieur des troupes de l’AOF), un exemple destiné à ôter aux coloniséEs toute idée d’émancipation. Il faut faire comprendre à ces tirailleurs — témoins de la déroute militaire française en 1940, ayant passé quatre ans en France, côtoyé des métropolitains et, pour certains, rejoint la Résistance — qu’ils doivent rester à leur place : des sujets de l’empire français. La « Libération », ce n’est pas pour les indigènes !
Solidarité avec les coloniséEs
Sous la pression de chercheurEs et de militantEs français et africains, s’est fissurée la chape de plomb de la machine à mensonges étatique. Mais la France impérialiste se garde bien de reconnaître le massacre et sa responsabilité. La commémoration du 80e anniversaire, organisée par le Sénégal, est un enjeu économique et diplomatique pour la France et les dirigeants africains qui, pour leurs intérêts propres, surfent sur la colère de leurs peuples à l’égard de la Françafrique. Pour nous, anticolonialistes et antiracistes, l’enjeu est de réaffirmer notre solidarité active avec les peuples avides de vérité, de justice, de dignité et notre ferme détermination à combattre, à leurs côtés, notre propre impérialisme. France, hors d’Afrique !
Germain Gillet
- 1. Armelle Mabon, Le massacre de Thiaroye. 1er décembre 1944 Histoire d’un mensonge d’État, éditions Le Passager clandestin, 2024.