Publié le Lundi 26 décembre 2011 à 10h06.

Sénégal : situation sociale et politique.

2012 sera une année cruciale pour le Sénégal, pays de quelques 14 millions d’habitants et qui, fait assez rare en Afrique post coloniale, n’a jamais connu de coup d’Etat militaire. En effet, les prochaines élections présidentielles, normalement prévues en février 2012 risquent d’être très mouvementées. D’ailleurs, les représentations diplomatiques des pays occidentaux (notamment celles de la France et des Etats Unis) craignent le pire. Le Président sortant M. Abdoulaye Wade, après deux mandats (il a été élu en 2000 puis réélu en 2007), veut se présenter de nouveau.

Les opposants au régime de M. Wade l’accusent de ne pas respecter la constitution de 2001 qui limite le nombre de mandats à 2 alors que M. Wade considère que son premier mandat de 2000, obtenu avant la nouvelle constitution ne fait pas partie du décompte de mandats autorisés. Depuis plusieurs mois, un débat de constitutionnalistes fait rage à Dakar, tandis que des avocats français sont appelés à la rescousse par le Président Wade, qui compte se représenter coûte que coûte aux prochaines élections présidentielles. Il serait intéressant de savoir pourquoi cet entêtement du Président Wade (85 ans aujourd’hui) à maintenir cette candidature contestée qui risque d’entraîner son pays dans le chaos politique? Pourquoi cet homme qui a su conduire le Sénégal à l’alternance politique en 2000 (avec le soutien de plusieurs partis de gauche ou s’en réclamant) est devenu à son tour un acharné du pouvoir? Qu’est ce qui empêche M. Wade de sortir par la grande porte de l’histoire politique du Sénégal en confiant la responsabilité de son parti libéral à ses véritables héritiers politiques (dont son fils d’ailleurs) et de les laisser briguer le fauteuil présidentiel? La question est simplement légitime et la réponse très simple: Wade veut certainement remporter les élections de 2012 puis partir en laissant le pouvoir à son fils comme l’en accusent d’ailleurs ses opposants (l’ancien parti au pouvoir le Parti Socialiste, ses anciens alliés de 2000 et plusieurs autres partis comme Yoonu Askan Wi[i] réunis dans la coalition Benno Siggil Sénégal[ii])?

En tout cas, tous les actes posés par Wade semblent l’indiquer. Comme sa tentative déjouée de changer la constitution (de nouveau) en 2011 et d’imposer un couple Président-Vice Président ainsi que le quart bloquant aux prochaines élections présidentielles de 2012. Le mouvement M23 qui est né à la suite des contestations du 23 juin 2011 contre ce projet inique de Wade pourrait bien être l’épine qu’il ne pourra pas retirer de son pied.

En effet, cette coalition, qui regroupe des partis d’opposition du pays, la société civile et des mouvements citoyens (comme le mouvement « Y’en a marre»[iii]), pourrait faire de l’ombre à l’opposition traditionnelle sénégalaise. En effet, six mois après sa création, il faut bien se rendre à l’évidence; le M23 pose un problème réel de conscience aux Partis d’opposition réunis autour de la coalition Bennoo Sigil Sénégal (qui n’est d’ailleurs pas arrivée à présenter une candidature unitaire en décembre). La nervosité que le M23 confère au Parti Démocratique Sénégalais (PDS), le parti de Wade, est la preuve ultime du poids de ce mouvement né des contestations sociales de juin 2011 et qui ne compte pas hypothéquer sa dynamique.

Pendant ce temps, la situation sociale est toujours la même pour les populations (les seules véritables victimes du régime libéral de Wade) qui tentent de s’en sortir comme elles peuvent grâce à la débrouillardise. La crise économique européenne fait craindre une nouvelle dévaluation du Franc CFA[iv] (celle de 1994 a été un véritable traumatisme) tandis que les Western Union des migrants pour soutenir leur famille restée au pays se font de plus en plus rares à cause de la situation économique dramatique de l’Espagne et de l’Italie (qui regroupent une bonne partie de l’immigration économique sénégalaise). De plus, Les délestages d’électricité ne sont toujours pas complètement réglés malgré les promesses de Karim Wade, nommé ministre de l’énergie en mai 2009 par son père après ses déboires aux élections municipales et rurales de mars 2009 (il est battu dans son propre bureau de vote à Dakar). La tentative de dévolution monarchique de M. Wade semble donc bien réelle, elle est même dénoncée par son ex-premier ministre Idrissa Seck, emprisonné pendant plusieurs mois par le régime de Wade (pour détournement de fonds publics) puis libéré, aujourd’hui candidat contre son ancien père spirituel libéral.

En décembre 2011, il y avait déjà plus de 20 candidats déclarés dont deux issus de Benno Siggil Sénégal (ensemble pour relever le Sénégal), l’alternative la plus crédible à gauche pour battre le parti au pouvoir. Mais avec deux candidats déclarés(le PS n’a pas accepté le vote de désignation du candidat qui ne lui a pas été favorable), l’opposition semble donner du crédit aux sénégalais qui jugent les hommes politiques peu crédibles et sans parole. Malheureusement, ce sont bien les héritiers de M. Wade, notamment Idrissa Seck et Macky Sall (ses ex Premier Ministres devenus opposants) qui vont profiter des divisions de l’opposition. L’opposition sénégalaise de gauche, après avoir porté un libéral au pouvoir pour faire partir le Parti Socialiste (qui est resté 40 ans au pouvoir) va-t-elle de nouveau servir de tremplin aux héritiers légitimes de ce régimecette fois ci pour faire partir M. Wade? Les partis politiques de la gauche radicale (RTA/S[v]; Yonnu Askan Wi[vi], UDF-Mbolo MI[vii], Ferñent / Mouvement des Travailleurs Panafricains – Sénégal) doivent continuer à approfondir cette troisième voie qui a été une généreuse idée vite oubliée au nom de la sacro-sainte alliance contre M. Wade.

Moulzo

[i] Ce parti issu de la scission d’AND-Jeff PADS (Parti Africain pour la Démocratie et le Socialisme) est un parti ami du GTA/NPA.

[ii] «Ensemble pour relever le Sénégal».

[iii] Voir Afriques en lutte n°13.

[iv] Voir article sur le Franc CFA dans ce numéro d’Afriques en lutte.

[v] Rassemblement des Travailleurs Africains/Sénégal.

[vi] Mouvement pour l’Autonomie Populaire.

[vii] Union pour la Démocratie et le Fédéralisme.