Publié le Mercredi 20 janvier 2010 à 23h36.

Sri Lanka : des élections précipitées après la guerre....(par Danielle Sabaï)

Dès son élection en 2005, Mahinda Rajapaksa s’est engagé dans une guerre sans merci contre les LTTE, les «Tigres» de libération de l’Eelam tamoule. Niant les origines ethniques du conflit, il a prétendu mener une lutte «contre le terrorisme» et a cherché à anéantir militairement les «Tigres».

Durant l’ultime offensive de l’armée Sri Lankais, entre janvier et mai de l’année passée, 20 000 civils tamouls ont perdu la vie sous les bombardements incessants de l’armée régulière. Les dirigeants «Tigres» qui s’étaient réfugiés sur une bande de terre de quelques kilomètres carrés avec des milliers de civils tamouls leur servant de «boucliers» ont été assassinés par les forces spéciales de l’armée régulière. La guerre est finie mais aucune solution n’a été apportée pour résoudre ce conflit qui oppose depuis plusieurs décennies la communauté tamoule lankaise aux gouvernements nationalistes chauvins cinghalais successifs.

Depuis la fin la guerre, environ 300 000 civils ont été retenus captifs dans des camps d’internement, sans possibilité de mouvement, ni même de regroupement familial. Ces détentions arbitraires avaient pour objectif de repérer et de capturer des membres et soutiens supposés des LTTE au sein de la population civile des camps.

Après huit mois de guerre, la situation a sensiblement évolué du fait de la décision du président Rajapaksa d’anticiper les élections présidentielles.

Capitaliser la victoire militaire

Les élections présidentielles se tiendront le 26 janvier 2010, deux ans avant la date prévue.

Mahinda Rajapksa espère sans doute capitaliser sa victoire militaire contre les «Tigres». Mais surtout, en cette période de crise économique globale, les lendemains de guerre pourraient s’avérer assez difficiles d’un point de vue économique pour l’île. D’où l’intérêt de ne pas trop attendre pour retourner aux urnes.

Depuis l’annonce des élections, les camps ont été ouverts et les 300000 tamouls internés ont obtenu la liberté de mouvement. Ils sont maintenant autorisés à retourner dans les zones qu’ils habitaient précédemment y compris dans le Nord durement touché par les combats. Le couvre feu imposé à la ville de Jaffna depuis plusieurs années a été levé et la route A9 y conduisant a été rouverte au trafic civil. Les ouvriers agricoles tamouls du sud n’ont plus besoin d’autorisation pour sortir des plantations dans lesquelles ils travaillent et se rendre à Colombo. Une plus grande liberté de la presse se fait sentir même si l’autocensure des journalistes et des militants reste très forte. Le gouvernement n’a pas supprimé la loi de Prévention du terrorisme (Terrorism Prevention Act) et il continue à l’utiliser contre ses opposants politiques.

La décision d’ouvrir les camps a été un véritable soulagement pour des centaines de milliers de civils tamouls, victimes de la guerre. Mais le retour chez elles des personnes déplacées ne pourra se faire dans de bonnes conditions que si elles y sont réellement aidées. Or, beaucoup de déplacés sont retournés dans des zones dévastées par la guerre qui n’ont pas encore été reconstruites, ni même déminées. Les moyens financiers et matériels qui ont été alloués aux tamouls pour se réinstaller, sont très insuffisants. De plus ces zones restent contrôlées par les autorités militaires qui détiennent un droit de véto sur toutes les décisions concernant la question du retour et de la réinstallation des personnes déplacées. Enfin, 80000 musulmans qui avaient été expulsés de la province du Nord par les LTTE en 1990 et qui vivent depuis dans des camps devraient aussi avoir la possibilité de revenir dans le Nord et l’Est. Si le gouvernement n’a pas la volonté politique d’organiser de manière transparente le retour, cela pourrait bien être source de nouveaux conflits entre les communautés ethniques.

Or, la guerre a cessé, il y a plus de 8 mois maintenant, mais les problèmes politiques qui ont conduit à ce long conflit armé demeurent inchangés. Le gouvernement n’a entamé aucune réforme politique pour répondre aux attentes des minorités ethniques. Il ne semble pas décidé à favoriser l’autonomie dans les régions à majorité non cinghalaise.

Une candidature qui bouleverse la donne

Le principal opposant à la candidature de Mahinda Rajapaksa n’est autre que le général Sarath Fonseka, ancien commandant en chef des armées, qui a assuré la victoire militaire contre les «Tigres» tamouls en mai dernier. Fonseka n’a jamais hésité à recourir à la rhétorique nationaliste chauvine la plus virulente pour s’assurer la popularité de la majorité cinghalaise. On lui doit d’avoir déclaré: «je crois fortement que ce pays appartient aux cinghalais; mais il y a des minorités et nous les traitons comme les nôtres... Ils peuvent vivre dans ce pays avec nous, mais ils ne doivent pas essayer, sous le prétexte d'être une minorité, de demander des choses indues».

Les deux candidatures, de Fonseka et de Rajapaksa, laissent craindre une accentuation de la militarisation de la société et le renforcement du nationalisme chauvin cinghalais-bouddhiste. L’augmentation, l’été dernier, du budget de l’armée de 20%, lui faisant atteindre un record de 1,6 milliard de dollars, alors que la guerre était terminée en est un signe.

La candidature de Fonseka divise l’électorat cinghalais et rend l’issue de la campagne électorale incertaine. Fonseka est soutenue par les deux principaux partis cinghalais d’opposition, le Parti d’union nationale (UNP) et le Front de libération du peuple (PLF). C’est une alliance inattendue tant, Fonseka a combattu politiquement l’UNP durant toute la dernière phase militaire. L’actuel dirigeant de l’UNP aurait été cependant bien en peine de concurrencer la popularité réelle de Rajapaksa.

Dans ce contexte, le vote des tamouls a pris une certaine importance. Les deux candidats, Rajapaksa et Fonseka ayant tous les deux beaucoup de sang tamoul sur les mains et étant de fervents partisans de la suprématie cinghalaise, il est pour le moins surprenant que Fonseka ait obtenu le soutien de la direction de l’Alliance Nationale Tamoule (TNA), considérée jusqu’à présent comme très proche des «Tigres». La TNA a combattu la politique guerrière du tandem Rajapkasa-Fonseka et appelé durant plusieurs mois à un cessez le feu. Il semble que le seul dénominateur commun de cette coalition soit d’empêcher Rajapaksa de faire un second mandat.

Le soutien accordé à Fonseka a quand même conduit l’un des 22 parlementaires de la TNA, M. K. Sivajilingam, à présenter sa propre candidature aux élections du 26 janvier.

Grain de sable

Ses voltes faces politiques et les marchandages qui les sous tendent ne vont sans doute pas encourager les sri lankais à aller voter. Avec le coût de la vie, la corruption est apparue comme un thème majeur de la campagne. Mais dans la communauté tamoule, la principale préoccupation reste la question du retour. Moins de 10% des 300000 personnes déplacées se sont inscrits sur les listes électorales et seront donc en mesure de voter.

Fort heureusement, la campagne présidentielle ne se résume pas à l’affrontement entre deux candidats de la bourgeoisie, tous deux nationalistes chauvins. Le Front de Gauche, constitué par le NSSP, section sri lankaise de la 4ème internationale, le Parti Communiste Ceylanais (maoïste), le Parti Uni des travailleurs, a présenté son propre candidat, Wrickamabahu Karunarathne, dit Bahu. Cette candidature permettra que soient relayées les revendications des travailleurs quelque soit leur origine ethnique. Bahu est aussi bien connu pour son engagement de longue date aux côtés des tamouls. On peut lui faire confiance pour les représenter et réaffirmer la nécessité de la reconnaissance de leur droit à l’autodétermination.

Références bibliographiques :

- International Crisis Group: A bitter Peace. http://www.crisisgroup.org/library/documents/asia/south_asia/sri_lanka/b99_sri_lanka___a_bitter_peace.pdf

- State Power, State Patronage and Elections in Sri Lanka. Ahilan Kadirgamar. Economic & Politic Weekly.

- NSSP. http://www.nssp.info/index.html