Le 12 septembre 1977, Steve Bantu Biko meurt seul dans la cellule de la prison centrale de Pretoria, officiellement d’une grève de la faim. En fait, c’est une lésion cérébrale provoquée par la violence policière subie lors des interrogatoires. Arrêté le 21 aout, roué de coups à plusieurs reprises, il était dans un état très grave dès le 7 septembre. Il fallut attendre le 11 septembre pour que l’on recommande son transfert immédiat à l’hôpital. La police choisit celui de Pretoria, soit à 1200 km de distance. Dans un état comateux, il est transporté à l’arrière d’une Jeep, nu à même le plancher. Un rapport des autorités accusera, plus tard, les médecins de ne pas avoir décelé les «lésions neurologiques» causées par «une chute accidentelle».
Etudiant et militant anti-apartheid
Steve Biko est né en 1946 à King William’s Town, dans la province du Cap. Son père, militant actif, est assassiné par un policier blanc en 1951. Son frère ainé est arrêté en 1963. Steve est donc très tôt confronté à la politique raciste et imprégné de militantisme. Il étudie à l’Université de médecine du Natal, où il est élu au Conseil Représentatif des Etudiants Noirs. Il est aussi délégué, en 1967, à la Conférence de la National Union Of South African Student (NUSAS) à l’Université de Rhodes. Mais révolté par sa condition de Noir-e-s dans l’Afrique du Sud de l’Apartheid, il rompt rapidement avec le libéralisme et la diversité multiraciale prônée par la NUSAS, dont il remet en cause le paternalisme blanc. La question de l’émancipation des Noir-e-s et de leur prise de conscience est désormais au cœur de son discours.
En 1969, à l’Université du Nord, il participe à la fondation du South African Students Organisation (SASO) et en devient le premier président élu. Le SASO est l’un des principaux représentants du Black Consciousness Movement (BCM) dont Biko était l’initiateur. Biko et le BCM critiquent l’ANC et les libéraux blancs, préconisant une émancipation des Noirs par eux-mêmes, en affirmant que, même s’ils sont de bonne volonté, les Blancs ne peuvent comprendre entièrement le point de vue des Noirs sur la lutte à mener. Il se prononce contre l’intégration entre Noir-e-s et Blancs, se déclarant contre «le fait qu’une minorité de colons impose en système entier de valeurs aux peuples indigènes». Pour lui, la «libération psychologique» doit précéder la «libération psychique»: les Noir-e-s ne peuvent se libérer politiquement de l’apartheid que s’ils cessent de se sentir inférieurs aux Blancs.
Conscience et fierté noires
La pensée de Biko est fortement influencée par les grands leaders africains-américains tels que W.E.B DuBois, Marcus Garvey (père du Panafricanisme et fondateur de l’UNIA), Malcolm X (son guide spirituel), Alain Locke, Frantz Fanon et les penseurs de la Négritude Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor.
L’idée que les Noirs puissent ainsi déterminer de leur propre destin et le principe de la fierté de la conscience noire eurent un grand retentissement alors que les lois d’apartheid étaient à l’apogée de leur mise en œuvre. Biko développe cette doctrine en adaptant le slogan des Black Panthers Party «Black Is Beautiful». Attentif à la pensée de Gandhi et de Martin Luther Kikg, il emploie des techniques de non violence, mais davantage en tant que moyen stratégique efficace de lutte face à un état répressif de l’état ségrégationniste que par conviction pacifiste.
Répression
En 1972, la SASO se prononça contre toute coopération avec les leaders noirs impliqués dans le système de l’apartheid. Biko qualifie même de «collaborateurs» les modérés travaillant à l’intérieur du système ou ceux qui prônent de tels rapprochements, et fait entériner une idéologie radicale. La même année, Biko lance le Black Peoples Convention (BPC), version post-étudiante de la SASO.
En 1973, il est détenu sous l’accusation de terrorisme avec d’autres membres de la Conscience Noire, alors que les écoles sont petit à petit politisées par les membres de son organisation et que se développent les tentatives de boycott et de fermetures des écoles réservée aux noirs, soumises à enseigner en Afrikaans (langue des colons d’origine germanique). Biko est alors banni et assigné à résidence dans sa région du Cap-Oriental. Empêché de tenir des discours en public et de parler à plus d’une personne à la fois, il parvient tout de même à faire circuler ses déclarations qui sont lues en public, dans des stades lors de match de foot. Dans le même temps, le désir d’émancipation des jeunes noirs lui fournit de plus en plus de militants qui rejettent les principes de modération et d’intégration de leurs parents.
En juin 1976 ont lieu les soulèvements populaires dans tous les townships du pays, à mesure que se durcit la répression des forces de sécurité et, notamment, la révolte des écoliers contre l’imposition de l’éducation en afrikaans, ce qui aboutira aux massacres des écoliers de Soweto.
Un meurtre impuni
Biko sera mis au secret pendant 101 jours mais, bravant les interdictions de séjour, il parcourt tout le Cap-Oriental à la rencontre des noirs. C’est alors qu’il sera arrêté le 21 aout 1976. Les conditions de cette arrestation et son décès brutal sont l’objet d’une polémique internationale qui débouche sur la condamnation du régime sud-afrcain. A l’ONU, le Conseil de sécurité votera les Résolutions 417 (31 Otobre 1977) et 418 (4 Novembre 1977). Cette dernière impose un embargo sur les ventes d’armes à destination de l’Afrique du Sud.
Les policiers concernés ne reçoivent qu’un blâme dans un premier temps alors que les médecins impliqués sont pris à partie par leurs collègues. La police finira par confesser le meurtre à la Commission Vérité et Réconciliation à la fin des années 1990, dont le Président Mgr Desmond Tutu, avait assuré le prêche lors des funérailles de Biko. Le 7 octobre 2003, la justice sud-africaine renonce à poursuivre les 5 policiers pour «manque de preuve et absence de témoins».
Biko, à l’instar de Malcolm Shabazz, avait commencé à réviser son point de vue sur sa fréquentation des blancs tout en restant ferme sur le fait que l’émancipation des noirs sera l’œuvre des noirs par eux-mêmes. Son combat doit être compris comme un combat contre la classe dominante capitaliste, au delà de la question raciale.
Mariam Seri Sidibe