Depuis le 30 septembre dernier, la Russie de Poutine s’engage ouvertement, militairement, au côté du régime d’Assad, avec un soutien aérien exceptionnel. Elle accompagne une nouvelle offensive de l’armée du régime soutenue par des forces armées de l’Iran et du Hezbollah sur le front d’Alep, Lattaquié et Homs-Hama.
En dehors du cas de l’Ukraine et de la Géorgie, c’est la première fois depuis la chute de l’ex-URSS que la Russie se déploie au-delà de ses frontières ou de ses zones d’ancienne influence. Et cela change la donne du conflit en Syrie.
La coalition internationale dirigée par les États-Unis contre l’État islamique, en action depuis environ un an avec des résultats militaires médiocres, n’était qu’un prétexte pour maintenir une présence « aérienne » en Syrie. Aujourd’hui, la présence militaire russe dans au moins deux bases sur le territoire syrien fait de la Russie une puissance impérialiste déterminante. Cette intervention russe, met face à face les deux grandes puissances, USA et Russie, et trouble les jeux des puissances régionales : Arabie saoudite, Turquie, Israël et même l’Iran.
Pour éviter de s’enliser (souvenirs de la guerre d’Afghanistan...), la Russie a besoin de trouver un accord avec les USA mais aussi de composer avec les puissances régionales, dont chacune soutient des fractions armées : l’Iran soutient le régime, la Turquie et le Qatar des fractions djihadistes comme Ahrar al-Sham, et l’Arabie saoudite « l’Armée de l’islam », un courant salafiste.
La Russie, en coordination avec les USA, cherche frénétiquement une « solution politique » permettant la survie du régime, si nécessaire sans Bachar el-Assad à la fin d’une période de « transition ». La visite surprise du dictateur syrien mardi dernier à Moscou entre dans ce contexte, ainsi que la rencontre la semaine dernière à Vienne de Kerry et Lavrov avec les ministres des affaires étrangères de Turquie et de l’Arabie Saoudite.
Les pays occidentaux (la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne) se trouvent actuellement écartés de cette valse diplomatico-militaire. Cela explique peut-être l’annonce du gouvernement français d’une rencontre des puissances régionales à Paris la semaine prochaine...
Un processus révolutionnaire en recul
Ces tractations des puissances impérialistes et régionales en Syrie se font au dépend des intérêts des peuples et au prix de leurs souffrances, puisque les Américains, Russes et leurs alliés, bombardent impunément la Syrie, tuant des civils, aucunement pour la libération du peuple syrien. Ce peuple est donc le grand absent, le régime est passé sous tutelle russe et iranienne.
La coalition nationale de l’opposition n’a plus droit de citée, même par les puissances tutélaires. De plus le processus révolutionnaire syrien connaît une phase de recul, voire de défaite : destruction sociale et économique, déplacement majeure de la population, pertes humaines immenses… et quasi-anéantissement du mouvement populaire par la sauvagerie du régime et ses alliés. Sur le plan militaire, marginalisation de l’Armée syrienne libre (ASL) qui n’a pas reçu de soutien, en comparaison aux forces djihadistes qui ont bénéficié du soutien financier, militaire et logistique de la Turquie, de l’Arabie saoudite et du Qatar...
Bref, en grande partie, le destin de la Syrie semble ne pas être entre les mains du peuple syrien : les prédateurs impérialistes et régionaux ont tout fait pour faire avorter son authentique révolution populaire.
Cette lutte en Syrie et pour la Syrie n’est que la clé de voûte d’un nouvel ordre régional, peut- être mondial, et nous devons tout faire pour empêcher l’ordre impérialiste de se rétablir dans la région. Un nouvel élan ne tardera pas à se manifester contre les tyrans et les envahisseurs, c’est la grande leçon de toutes les révolutions.
Ghayath Naisse