Quelques heures à peine après la mort d’Idriss Déby Itno, l’autocrate au pouvoir depuis plus de trente ans au Tchad, tué le 20 avril dernier dans des circonstances particulièrement opaques, diplomates, militaires et politiciens français se déversaient en hommages particulièrement répugnants sur ce « grand guerrier » et « ami fidèle de la France ».
C’est à peine si quelques-uns se sont risqués à déplorer à mi-voix le peu de respect manifesté par le défunt aux droits démocratiques les plus élémentaires durant son long règne. Fidèle à l’héritage paternel, son fils aîné, par ailleurs massacreur galonné, s’est emparé sur-le-champ du pouvoir en prenant la tête d’un « comité militaire de transition ». Un véritable coup d’État pour maintenir coûte que coûte la dictature dans un pays en pleine ébullition sociale et politique, et que Macron s’est empressé d’endosser en se rendant aux obsèques de Deby quelques jours plus tard à N’Djaména.
Rempart de la Françafrique
L’hommage de la France à Déby est évidemment loin d’être désintéressé. Les démonstrations d’amitié appuyées au clan Déby témoignent moins de la reconnaissance à un allié fidèle que du souci de garantir la stabilité d’un pays qui au cours de la dernière décennie est devenu le principal relais de la « Françafrique », ce système d’alliance politico--militaire avec des dictatures sanglantes qui permettent à la bourgeoisie française de maintenir son influence économique dans la région.
Non seulement le Tchad accueille des bases militaires françaises, qui font de ce pays un véritable porte-avions au cœur du continent africain, mais elle donne aussi à la France les moyens de mener des guerres low-cost dans la région. En effet, que ce soit au Mali, au Cameroun, ou au Nigeria contre Boko Haram ou d’autres groupes djihadistes, ou en -Centrafrique et au Congo contre des milices rebelles, ce sont les soldats tchadiens déployés en masse qui supportent le gros des pertes pour le compte des opérations militaires françaises. La seule bataille de Bohoma en mars 2020 a coûté plus du double de morts tchadiens que tous les morts français en huit ans d’opération Barkhane !
Lutte prolongée
La sous-traitance militaire effectuée par Idriss Déby lui a valu de longue date une rare complaisance des autorités françaises face à ses dérives despotiques. Malgré un multipartisme de façade depuis les années 1990, la contestation a toujours été réprimée avec la même violence, qu’il s’agisse de groupes armés dissidents, comme le Fact (Front pour l’alternance et la concorde au Tchad), la rébellion à qui est attribuée la mort de Déby, du mouvement ouvrier organisé autour de la « Plateforme revendicative syndicale » (un regroupement des principaux syndicats) ou des manifestations de jeunes. Ainsi en 2016, des manifestations de lycéenEs qui protestaient contre le viol d’une de leurs camarades par des fils de généraux et de ministres, ont été dispersées à coups d’armes à feu par la gendarmerie, faisant au moins deux morts et des dizaines de blessés. La même année, la chute des cours du pétrole provoqua une crise économique et sociale dans lequel le pays est toujours englué aujourd’hui. Plutôt que de réduire la voilure militaire, Déby décida de s’attaquer au mouvement ouvrier organisé, travailleurEs du pétrole et des services publics notamment, en réduisant de moitié primes et salaires. S’ensuivit en retour une vague de grèves, culminant par plusieurs journées de grève générale entre 2019 et 2021, la dernière ayant eu lieu en janvier dernier.
Et maintenant ?
La contestation s’est prolongée par des manifestations de masse contre son élection pour un sixième mandat présidentiel. La mort soudaine de Déby permet peut-être de faire disparaître de la scène un personnage devenu encombrant, mais l’essentiel pour les tenants de la Françafrique est sauf. Un Déby remplace l’autre, et les oppositions politiques, armées ou non, réclament toute l’intervention ou l’arbitrage bienveillant de la France pour remplacer ou collaborer à ce nouveau pouvoir. De ceux-là, les travailleurEs tchadiens et les masses pauvres n’ont rien à attendre. Mais ils ont montré au cours des dernières années qu’ils ne manquaient pas de ressources, ni de combativité.