Publié le Mardi 13 février 2018 à 22h47.

Tchad : une crise sociale qui vient de loin

Le Tchad connaît une situation économique des plus difficiles. En effet, l’essentiel de ses revenus provient de la vente du pétrole brut dont les cours se sont écroulés.

Le baril cotait autour de 100 dollars en 2014. Deux ans plus tard, il perdait les deux tiers de sa valeur. Un retour de conjoncture qui se double d’une gestion désastreuse de l’argent de la manne pétrolière. 

Dette et austérité

Pendant des décennies, l’argent a été détourné et gaspillé. Un exemple significatif est l’emprunt de deux milliards que le Tchad a contracté auprès de la société de négoce Glencore pour racheter la participation de Chevron dans le consortium Exxon Mobile, et Petronas, qui exploite son pétrole dans la région de Doba. Face au défaut de paiement, Glencore se rembourse sur la vente du brut tchadien et, sur un milliard d’euros prévus, seuls 60 millions rentrent dans les caisses de l’État. 

Le FMI conditionne quant à lui un prêt de 250 millions d’euros à une politique d’austérité visant à économiser plus de 45 millions sur la masse salariale de la fonction publique.

Le gouvernement s’est empressé de mener cette politique en commençant par diminuer de moitié les primes et indemnités diverses des fonctionnaires avec l’objectif de baisser le salaire de base. 

Cette politique d’austérité s’accompagne d’une féroce répression visant à empêcher toute mobilisation. C’est ainsi que les manifestions sont interdites. N’Djamena, la capitale, est quadrillée par les forces de police et l’armée. Les partis politiques qui ont soutenu les manifestions viennent d’être suspendus pour deux mois, avec la menace d’une interdiction définitive. Les dirigeants du mouvement citoyen Iyina (« On est fatigués ») ont été emprisonnés et ont subi des mauvais traitements.

Le président Déby s’attaque aux fonctionnaires mais ferme les yeux sur les militantEs du MPS (Mouvement patriotique du salut), le parti présidentiel, qui perçoivent une paie de l’État pour des emplois fictifs, un exemple parmi tant d’autres de la corruption qui sévit dans le pays.

Auxiliaire de l’impérialisme français

À cela s’ajoutent les sommes considérables englouties dans les dépenses d’armement. Au début des années 1990, une trentaine de millions de dollars étaient affectés à l’armée, dans les années 2014 c’est plus de 600 millions de dollars : une aubaine pour les marchands d’armes français, principaux fournisseurs avec les Ukrainiens de cette augmentation colossale. Dans le même temps, le Tchad stagne au bas de l’échelle (183 sur 187) de l’indice du développement humain des Nations unies. 

Cette armée sert d’abord et avant tout à maintenir Idriss Déby au pouvoir. L’absence d’élection crédible et l’accaparement du pouvoir depuis des décennies rétrécissent le champ démocratique et poussent certaines fractions de l’opposition à tenter des coups militaires, dont se sert aussitôt Déby pour liquider son opposition politique. Ce qui fut le cas en 2008, lorsque les sbires du pouvoir ont assassiné l’opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh.

Idriss Déby a très vite compris que pour continuer à bénéficier du soutien sans faille de la France, il devait renforcer son armée pour offrir un appui militaire efficace lors des interventions françaises en Afrique. C’est d’ailleurs N’Djamena qui a été choisie pour accueillir le quartier général de l’opération Barkhane. En devenant incontournable par sa politique étrangère, Idriss Déby donne aussi l’illusion qu’il est le garant de la stabilité du pays et de la région. La crise économique et sociale qui ravage le Tchad pourrait apporter un cinglant démenti. 

Paul Martial