Le 9 octobre, après plusieurs semaines de négociations, le « quartet » (1) se félicitait d’avoir fait signer à 21 partis, dont Ennahdha, une « feuille de route » censée être mise en œuvre avant la fin du mois : formation d’un gouvernement indépendant des partis, adoption de la nouvelle Constitution par l’Assemblée nationale constituante (ANC), mise sur pied de l’instance chargée d’organiser les élections, élaboration de la loi électorale. Au 9 décembre, soit deux mois plus tard, aucune de ces tâches n’était réalisée.
Enlisement du « dialogue national »
Le parti islamiste avait en effet choisi de faire le dos rond face à l’ampleur des mobilisations ayant suivi l’assassinat d’un deuxième dirigeant du Front populaire le 25 juillet. Mais il a ensuite multiplié les manœuvres pour rester au pouvoir. Il a notamment utilisé une clause, qu’il avait fait ajouter, qui liait la démission du gouvernement à l’adoption de la Constitution. hégémonique à l’ANC. Ennahdha n’a eu ensuite aucune difficulté à en bloquer le fonctionnement pour enliser le processus.Poussant le bouchon un peu plus loin, le Président d’Ennahdha expliquait le 17 novembre : « le gouvernement actuel est venu par les urnes et ne remettra les rênes du pouvoir qu’entre des mains sûres. Il ne démissionnera pas avant l’achèvement de la rédaction de la Constitution et la formation de l’Instance supérieure indépendante des élections ».Ennahdha y a ajouté des blocages répétés sur les noms présentés pour succéder au Premier ministre en place.
Ennahdha continue à sévirRésultat, le départ d’Ennahdha du gouvernement est sans cesse repoussé. Pendant ce temps, le Premier ministre, ancien ministre de l’Intérieur, a une manière très particulière d’« expédier les affaires courantes »... Expédier les journalistes, les avocats et les rappeurs en prison. Expédier les affidés d’Ennahdha dans tous les recoins de l’administration afin de préparer des élections plus que périlleuses pour son parti. Expédier à l’étranger des milliards pour continuer à rembourser les dettes contractées par Ben Ali. Expédier encore plus la population dans la pauvreté avec une loi de finances pour 2014 appliquant à la lettre les diktats des puissances occidentales, du FMI et de la Banque mondiale.Redémarrage des luttesCe « dialogue » qui traîne en longueur a contribué à faire retomber les grandes mobilisations d’août qui demandaient la chute immédiate du gouvernement et la dissolution de l’ANC. S’y sont ajoutés les atermoiements politiciens et le climat d’insécurité entretenu par le pouvoir.Face à la stérilité de ces négociations, les luttes se multiplient pour faire entendre les exigences de la population, comme le montrent la multiplication de grèves régionales comme à Gafsa, Siliana, Gabès ou Tozeur, ainsi que les nombreux conflits de secteurs (santé publique, recettes des finances, magistrats, avocats, cheminots, diplômés-chômeurs…).
F. Khalmat
Adapté d’un article publié par la LCR (Belgique).
1- Le « Dialogue National » a été initié par le « Quartet » constitué de l’UGTT, de l’Utica (patronat), de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) et de l’Ordre des avocats. Outre Ennahdha, participent notamment à ce « dialogue » Nidaa Tounes et ses alliés, ainsi que les trois partis du Front populaire représentés à l’Assemblée : le Parti des travailleurs (ex-PCOT) ainsi que le PPDU et le Courant populaire auxquels appartenaient respectivement Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi.