Quinze ans après le début de la révolution tunisienne, le régime autoritaire instauré par Kaïs Saïed multiplie les arrestations, les procès iniques et la répression contre l’ensemble de la société civile. Face à cette offensive, la solidarité internationale est plus que jamais nécessaire.
Débutée il y a 15 ans, la révolution tunisienne avait mis fin au régime brutal du dictateur Ben Ali après près de 23 ans de règne. Le processus de transformation de la société engagé alors a été progressivement remis en cause, puis brutalement interrompu depuis quatre ans par l’actuel président, Kaïs Saïed. Élu « par défaut » en 2019, candidat jugé inoffensif et opposé à un establishment et à des partis politiques toujours plus corrompus, il a profité du discrédit de la quasi-totalité de la classe politique durant la décennie post-révolutionnaire. Cela explique que le coup d’État de juillet 2021 ait bénéficié d’un certain soutien populaire. Prétextant les menaces à la fois islamiste, sioniste et migratoire, Kaïs Saïed a pris le contrôle de tous les rouages du pouvoir en quelques mois.
Un pouvoir fondé sur la répression
Le pouvoir de Kaïs Saïed s’est installé sur fond de paranoïa et de lutte contre la corruption mais aussi de stigmatisation des immigréEs, sous couvert de lutte contre les « influences étrangères » et même, sans honte, contre « l’impérialisme ». Dans le même temps, Kaïs Saïed a pourtant accepté, pour renflouer les caisses de l’État, de devenir le supplétif de l’Europe dans la répression des traversées d’exiléEs. Il désigne en permanence un ennemi intérieur, diabolisant ses opposantEs, la société civile ou encore les juges, afin de justifier les pénuries alimentaires, les coupures d’électricité et toutes les difficultés de la vie quotidienne.
Depuis 2021, Kaïs Saïed a massivement utilisé la détention préventive, sans jugement, ainsi qu’une loi sur les « fausses nouvelles », permettant d’arrêter n’importe quel opposantE. Autre levier : les accusations d’atteinte à la sûreté de l’État et de terrorisme, parfois passibles de la peine de mort. Après s’en être pris aux principaux opposantEs politiques en 2023, Kaïs Saïed a progressivement étendu la répression à l’ensemble de la société civile.
Des procès politiques
Début décembre sont tombées les peines en appel du procès médiatique dit du « complot contre la sûreté de l’État », visant des journalistes, avocatEs, opposantEs politiques, défenseurEs des droits humains, hautEs fonctionnaires et citoyenNEs ordinaires. En avril, en première instance, des peines de prison délirantes, allant jusqu’à 66 ans, avaient été prononcées à l’issue d’une procédure marquée par de très graves violations des droits de la défense. La cour d’appel de Tunis a finalement confirmé des peines allant de 2 à 45 ans de prison.
Les contours du « complot » sont restés extrêmement flous, les preuves inexistantes et, surtout, les accuséEs ont été empêchéEs de se défendre. La plupart des « preuves » reposent sur de simples rencontres avec des représentantEs et diplomates européens, présentées comme la démonstration d’une collusion internationale. À noter que, parmi les accuséEs, BHL (!) a écopé de 33 ans de prison sur la base d’accusations clairement antisémites. Cette théorie du complot antisémite, dans laquelle l’antisionisme est instrumentalisé, est également teintée de racisme négrophobe, sur fond de fantasme du « grand remplacement ». Pour tenter de montrer qu’il bénéficie encore d’un soutien populaire, Saïed a organisé fin décembre à Tunis une manifestation de soutien d’environ un millier de personnes, un chiffre faible malgré l’appui de la police et l’utilisation des moyens de l’État.
Une résistance qui persiste
Malgré la répression, la résistance continue de s’organiser : les campagnes de soutien aux prisonnierEs se multiplient et continuent de défiler chaque mois à Tunis. Le mouvement antipollution à Gabès se poursuit également. Les conditions économiques, combinées à la répression délirante imposée par le pouvoir, ont profondément affaibli les organisations politiques et sociales. Quinze ans de révolution ne s’effacent pas ainsi et la résistance demeure vive, mais il est indispensable de soutenir massivement les militantEs tunisienNEs, emprisonnéEs ou non, et de démontrer que le pseudo anti-impérialisme de Saïed ne sert qu’à renforcer un État policier au service, précisément, de l’impérialisme.
Édouard Soulier