Entretien avec Ahlem Belhadj (ci-contre), féministe tunisienne et militante de la LGO (Version courte d'un entretien à paraître dans Tout est à nous La Revue).
Où en est l'affaire au niveau judiciaire ?
Cette affaire est extrêmement symbolique de la situation de violence à l'égard des femmes en Tunisie. De victime, la femme violée s'est retrouvée accusée ! Le message est clair : on veut faire comprendre aux femmes tunisiennes victimes de viol qu'elles n'ont plus la possibilité de porter plainte sous peine de se retrouver elles-mêmes accusées.
Grâce au courage de cette femme et de son ami, ainsi qu'à une très grande mobilisation, le Président de la république s'est excusé officiellement au nom de l'État tunisien, et a promis la possibilité que ce second procès soit classé. Mais ce n'est pas encore fait, et nous restons mobilisés pour la défendre.
Assiste-t-on à une augmentation du nombre de viols ?
De façon générale, les violences à l'égard des femmes sont beaucoup plus fréquentes. Mais il est difficile d'affirmer que les viols sont plus nombreux.
Quelle est l’évolution dans le temps des violences envers les femmes ?
Une enquête réalisée en 2010 avait montré que 47,9 % des Tunisiennes avaient subi au moins une fois une forme de violence : morale, physique, économique ou sexuelle. D'après cette même étude, seulement 5 % ont eu recours à des autorités ou à des associations.
Sous Ben Ali, et aussi du temps de Bourguiba, le pouvoir avait périodiquement mené des offensives contre les femmes au nom de la « protection des bonnes mœurs ».
Pendant la révolution de début 2011, une étude de l'Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) a démontré que les violences à l'égard des femmes étaient généralement sous-déclarées.
À l’heure actuelle, celles-ci se font sentir de plus en plus. Elles sont légitimées par une campagne contre les droits des femmes, et notamment sur leur façon de s'habiller, leur liberté de sortir où elles veulent en compagnie de qui elles veulent, etc.
La différence avec le passé, c'est que cette fois-ci, cela se passe sous couvert de « moralité » et de comportements « conformes à la religion », et plusieurs groupes religieux extrêmistes ont pris le relais. Ils sont encouragés par l’attitude des institutions en place. De nombreuses femmes ont été intimidées sur leur lieu de travail, dans la rue ou dans les familles. On a le sentiment que la violence est de plus en plus présente, et surtout qu’elle est légitimée par cette « campagne de moralité ».
Quelle est la responsabilité d'Ennahda et de son gouvernement dans cette situation ?
Sa responsabilité est double :
- Premièrement, les institutions qui devraient protéger les femmes ne jouent pas leur rôle. C’est par exemple le cas de la police, des hôpitaux, etc. Il y a également l’absence de structures d'accompagnement des femmes lorsqu’elles sont victimes de violences.
- S’y ajoute l’impunité de ceux qui agressent des femmes.
Je pense qu'il s’agit là d’un projet d'Ennahda, comme le prouvent les propos de Ghannoucchi, le leader historique d’Ennahda, lorsqu’il dit que son courant ne veut pas changer la situation par en haut, mais à partir de la base.
Quelle est la position, à ce jour, du Premier ministre islamiste ?
Il ne pouvait pas faire autrement que confirmer que les policiers ont été arrêtés et qu'ils seront condamnés. Mais il n'a rien dit contre la plainte déposée contre la jeune femme pour « attentat à la pudeur » qui laisse entendre que « si elle a été violée, c'est qu'elle l’avait bien cherché ». Ce que nous voulons entendre, c’est une position claire sur la deuxième affaire où la jeune femme se retrouve accusée. Le Premier ministre ne s’est pas prononcé à ce sujet, et c’est cela que nous lui demandons.
Propos recueillis par Dominique Lerouge