Publié le Jeudi 27 juin 2013 à 10h33.

Turquie : la résistance « debout »

Depuis le début des événements, pour pouvoir mettre fin à cette explosion de masse inattendue, le Premier ministre Erdogan a eu recours à une stratégie reposant sur une véritable violence d’État. Tout d’abord il y a la répression brutale, avec des interventions policières d’une violence inouïe causant la mort de trois résistants (dont un avec une balle dans la tête). Parmi les 8 000 blesséEs, plus d’une dizaine ont perdu un œil. La violence policière a atteint son sommet lors de l’intervention qui a eu lieu en fin de semaine dernière, afin d'évacuer totalement le parc Gezi : usage démesuré de gaz lacrymogène à l’intérieur du parc où se trouvaient aussi beaucoup de familles avec enfants, de même que dans les halls d’hôtel où se réfugièrent les manifestantEs et dans les infirmeries de la résistance ; mise en garde à vue des médecins soignant les résistantEs blesséEs ; présence de véhicules anti-émeute militaires ; ajouts de produits chimiques dans les canons à eau, causant un sentiment de brûlure sur toute la peau… Un véritable état d’urgence non déclaré.

Le spectre du complot et du coup d’État...Cette répression est accompagnée par une criminalisation du mouvement. La rhétorique selon laquelle le mouvement de contestation serait le produit d’un complot international afin de renverser le gouvernement, dirigé par des organisations terroristes et commandité par un présumé « lobby d’intérêts (financiers) » est diffusée à chaque occasion par les responsables du gouvernement et les médias conservateurs. Cette criminalisation a pour conséquence l’arrestation de nombreux militantEs d’organisations révolutionnaires et de supporters du club de foot Besiktas (véritables « héros » de la résistance ayant, entre autres, réussi à mettre la main sur un bulldozer pour pouvoir contrer l’assaut des véhicules anti-émeute).Le dernier point, le plus dangereux, de la stratégie d’Erdogan repose sur une tentative délibérée de polarisation entre la base électorale conservatrice de l’AKP et les manifestants présentés comme ennemis de la religion, qui auraient par exemple pris de l’alcool dans une mosquée ou uriné sur une femme voilée après l’avoir frappée... Ainsi, à la théorie du complot s’articule un discours plus traditionnel : face à la véritable « nation » (conservatrice-religieuse), les élites républicaines-kémalistes (représentées par le Parti républicain du peuple - CHP - soutenant le mouvement) se mobiliseraient pour provoquer un coup d’État militaire, et cela alors que l’armée est bel et bien sous le contrôle de l’AKP... Ceci a déjà des conséquences : des militants de l’AKP armés de bâtons et couteaux commencent à défiler dans les rues pour s’attaquer aux manifestantEs ou empêcher par la force des réunions publiques, organisées selon eux par des Grecs et Arméniens !

Nouvelle phase de la mobilisationSuite à l’évacuation violente du parc et de la place de Taksim, l’appel des confédérations syndicales de gauche à la grève et à un rassemblement pour marcher sur Taksim s’est soldé par un échec, avec une faible participation. Mais cet échec a laissé place à un nouveau type de protestation individuelle consistant à rester debout et immobile sur la place de Taksim. Initié au début par une seule personne face à l’interdiction des rassemblements de masse sur Taksim, cette nouvelle forme de contestation s’est rapidement propagée et des milliers d’hommes et femmes restent debout pendant plusieurs heures sur les places publiques afin de protester contre le gouvernement. Depuis que l’accès au parc Gezi a été interdit, les résistantEs se retrouvent désormais tous les soirs dans les parcs de quartier pour débattre de diverses questions : bilan de l’occupation de Taksim, problèmes écologiques locaux, solidarité avec les résistantEs emprisonnéEs, nécessité ou non d’une organisation politique pour le mouvement, importance de nouer des rapports avec la base de l’AKP… De ces forums locaux forgés par l’indignation et l’espoir peuvent émerger de nouvelles formes d’organisation. La gauche révolutionnaire ne manquera pas ce rendez-vous.

D'Istanbul, Uraz Aydin