Publié le Mercredi 15 février 2023 à 13h00.

Turquie : Le régime corrompu d’un seul homme nous a tués

Les deux tremblements de terre du 6 février, d’une magnitude de 7,7 et 7,6, qui ont frappé le sud-est de la Turquie et le nord de la Syrie et du Rojava à 9 heures d’intervalle, étaient naturels, oui. Mais ce qui s’est passé avant et après ne l’était certainement pas.

Au 7e jour de la catastrophe, alors que les équipes de secours nationales et internationales s’efforcent toujours de trouver des survivantEs sous les décombres, le sentiment commun des gens est une rage, une douleur, un abandon et un chaos inimaginables. Et bien sûr, une solidarité inimaginable des gens.

L’avidité néolibérale destructrice, la mentalité gouvernementale qui donne la priorité au profit sur les vies, au fatalisme sur la science, qui perçoit le développement comme du ciment, du béton et de la construction se sont combinés. En Turquie, les deux tremblements de terre ont frappé 10 villes et près de 15 millions de personnes. À ce jour, le nombre de morts atteint 25 000 en Turquie, 4 000 en Syrie. Des dizaines de milliers de personnes ont été blessées ou handicapées, des millions de personnes se sont retrouvées sans abri.

Twitter, moyen de survie

Le principal moyen de survie a été Twitter, personne ne peut le nier. Les personnes sous les décombres ont partagé leur position exacte, demandé de l’aide, essayé de joindre leurs proches ou de l’aide via Twitter. Les initiatives civiles et les citoyenEs ont organisé et étendu leur aide via Twitter. Les gens ont exprimé leur colère et leur soutien via Twitter. Et oui, ils ont critiqué et blâmé le gouvernement aussi sévèrement que possible sur Twitter. Après tout, le gouvernement est responsable de la corruption et du népotisme dans les institutions les plus importantes du pays. Les entreprises de construction, les plus farouches partisans d’Erdoğan, lui doivent beaucoup. Si l’on ajoute à cela le manque de supervision, la loi sur la paix dans la construction en 2018 (qui consistait essentiellement pour le gouvernement à autoriser des bâtiments sans licence), cette destruction monumentale était inévitable. Malheureusement, nous savions tout cela. Ce que nous ignorions, c’est que le manque de ressources, de connaissances et de coordination au sein des institutions publiques censées gérer la crise avait cette ampleur. Le blocage de Twitter par le gouvernement au 3e jour du tremblement de terre était sa seule solution pour faire taire les voix de l’opposition. Celui-ci a littéralement commis un crime contre l’humanité en bloquant les seules chances de survie.

Un régime centralisé et corrompu

Pour le gouvernement AKP et le président Erdoğan, la loyauté a toujours primé sur la compétence. À tel point que les avertissements des scientifiques 3 ans, 1 an, voire 3 jours avant les tremblements de terre, ont été vains.

La bureaucratie et le niveau fou de centralisation dans les politiques publiques ont toujours été débattus en Turquie, mais aujourd’hui des millions de personnes en sont affectées en même temps. Le « régime d’un seul homme » a tué des dizaines de milliers de personnes alors que les autorités attendaient les directives de cet homme à chaque étape, qui est apparu à la télévision après 25 heures, même après l'arrivée de certaines équipes de secours internationales dans la région. Même ces équipes sont restées dans les aéroports, les excavatrices n’ont pas fonctionné, les aides ont attendu dans les camions, les mineurs de toute la Turquie qui ont une expertise dans la recherche et le sauvetage sont restés immobiles pendant des jours, et les volontaires n’ont pas été mobilisés, comme si le temps s'était arrêté dans l’attente des directives d'un seul homme.

Les volontaires travaillent sans relâche

Heureusement, certaines municipalités du CHP, le principal parti d’opposition, des partis d’opposition comme le Parti des travailleurs de Turquie (TİP), le Parti démocratique des peuples (HDP), des organisations politiques, des initiatives civiles et des groupes féministes n’ont pas attendu cette directive. Au septième jour, ce sont eux qui fournissent l'aide la plus coordonnée. Alors que le président Erdoğan insulte et menace les personnes qui critiquent et blâment son administration à chaque spectacle qu’il met en scène depuis sa première apparition à la télévision le 7 février, les volontaires travaillent sans relâche pour les survivants. Imaginez combien de milliers de personnes seraient encore en vie si les équipes et le matériel de secours avaient été là à temps, et non 48 heures après. De plus, l’aéroport, l’hôpital de la ville et l’autoroute, trois sources de fierté pour Erdoğan, ont été démolis pendant le tremblement de terre, ce qui a aggravé la situation.

Nous savons que des millions de personnes ont besoin de nourriture, de vêtements et d’abris. Des millions de personnes ont besoin d’une aide psychologique. La perception de ce qui est « normal » pour les habitants de la Turquie et de la Syrie a changé à bien des égards, et les problèmes vont au-delà de la survie. Par exemple, un fort discours de haine nous entoure et commence à se transformer en manifestations physiques. Comme la zone sinistrée est aussi une région très peuplée de réfugiés, la rage contre le système, le gouvernement et le sentiment d'impuissance se retournent facilement contre les pillards et contre la population réfugiée, parfois sous forme de violence physique, en raison des tweets haineux organisés principalement par les leaders des partis nationalistes. En plus de construire et d'étendre notre solidarité envers les survivants du tremblement de terre, nous sommes obligés de rappeler à tout le monde, à chaque occasion, le fait que nous étions tous sous ces décombres. Nous allons guérir nos blessures et rechercher la justice tous ensemble, avec notre solidarité.

Les blessures causées par Erdoğan et l'AKP sont, par contre, au-delà de la guérison. Ils doivent partir. Ils doivent partir.

Traduction F.D.