Publié le Mardi 4 mars 2014 à 15h53.

Ukraine : ni troupes russes, ni fascisme, ni institutions euro-atlantiques

La chute de Ianoukovitch n'est pas un « coup » fasciste. Mais la composition et les orientations du « gouvernement d'union » soutenu par les puissances occidentales peuvent faire exploser l'Ukraine.

Les présentations complotistes et polaires occultent les enjeux sociaux et démocratiques, en s'appuyant sur une part de vérité.

Du coté de Maïdan

C'est un mouvement populaire, se défiant de tous les partis, qui a fait chuter Ianoukovitch, à cause de ses propres méthodes : plus que sur l'Europe, Maïdan s'est massivement mobilisée contre « la famille » régnante, oligarchique, et le cours de plus en plus répressif et personnel du régime, en craignant qu'une intégration aux projets de Poutine aggrave ces dérives.

Mais cela a donné du poids au parti Svoboda, célébrant toujours les bataillons SS et valorisant pour l'instant « l'Ukraine européenne » contre la Russie. De même ont été populaires les militants de Pravyi Sektor, camouflant leur xénophobie dans une logique « anti-système » (1). Cette présence active de l'extrême droite, populaire dans un mouvement idéologiquement confus et de type « Indignés », a divisé et affaibli les forces de gauche.

Or, le passage d'un mouvement social de rue à un « gouvernement d'union » modifie la donne : il donne du poids aux partis valorisés en bloc par une Union européenne trop contente de remettre sur la table son projet de « partenariat oriental » ultra-libéral. Or ce projet présenté par l'UE en contradiction avec les projets russes, est destructeur de l'Ukraine, socialement et nationalement.

Russe et russophones

Indépendamment des événements récents, Poutine voulait modifier le traité signé avec l'Ukraine afin de prolonger le maintien de sa base militaire à Sébastopol (qui a un statut autonome au sein d'une Crimée elle-même dotée d'un statut spécial), moyennant une baisse des tarifs gaziers russes (2). Il cherche aujourd'hui, au nom de la protection des populations locales (à 60 % russophones), à obtenir ce qu'il négociait avec Ianoukovitch depuis 2010 par un rapport de forces : la sortie des troupes de leur base pour contrôler la Crimée et contrer les orientations anti-russes, cela au risque d'une guerre.

Mais les peurs, la mobilisation et l'appel à l'aide des populations locales ne sont pas pour autant un vent soufflé de Moscou : le premier acte du « gouvernement d'union », mis en place après la chute de Ianoukovitch, a été la remise en cause du statut du russe comme langue officielle dans les régions russophones. Cette mesure a immédiatement envenimé les tensions, autant que l'entrée au « gouvernement d'union » des ministres de Svoboda : le déboulonnage des statues de Lénine et l'interdiction du Parti des régions et du Parti communiste, là où dominent Svoboda et Pravyi Sektor, interviennent dans la confusion des héritages, étiquettes et mémoires sur l'histoire passée. Le comprendre n'est pas l'accepter.

Recentrage social et démocratique

Contre les crimes commis, il faut non pas l'interdiction de partis, mais une justice indépendante des partis. Il est décisif de combattre les idéologies racistes et xénophobes : les Tatars musulmans de Crimée, déportés par Staline et de retour dans leur foyer depuis 1991, pourtant pro-Maïdan par crainte de la domination grand-russe, seront autant menacés par l'idéologie de Svoboda au pouvoir à Kiev que par Pravyi Sektor qui défend la « chrétienté » contre « les burqua ».

Il faut mettre l'accent sur ce qui rapproche les populations de toute l'Ukraine : l'attachement à l'indépendance, assortie de la langue nationale ukrainienne, mais associée aux droits culturels et linguistiques des Tatars de Crimée comme des Ukrainiens russophones, ainsi que les enjeux sociaux, essentiels. L'aspiration démocratique doit transformer les défiances « anti-système » en assemblées citoyennes, comme en Bosnie, mettant à plat les privatisations qui ont démantelé les droits sociaux. Il faut dénoncer la dette comme illégitime contre les plans d'austérité du FMI.

L'autonomie et demain la démilitarisation de la Crimée impliquent une neutralité militaire de l'Ukraine. Son unité et celle de tout le pays vont de pair avec la défense de droits sociaux et culturels pour touTEs contre le fascisme, la domination grand-russe ou celle des institutions euro-atlantistes.

Catherine Samary

1- Dans le Monde diplomatique de mars, « En Ukraine, les ultras du nationalisme » E. Dreyfus

2- http://blog.mondediplo.net/2014-02-28-En-Crimee-j-y-suis-j-y-reste