L’annonce par les États-Unis de la livraison immédiate d’armes à sous-munitions à l’Ukraine a déclenché sans surprise l’ire des poutinistes de Russie et d’ailleurs. Elle a également suscité des craintes, voire la consternation, de celleux qui, depuis le début, soutiennent le droit des UkrainienEs à défendre leur territoire et leurs populations par la lutte armée et non armée.
Cette réaction est compréhensible quand on sait le caractère particulièrement létal de ces armes. Létalité pour les unités combattantes mais aussi et surtout pour les populations civiles des zones touchées par leur usage. Leur particularité étant qu’elles sont constituées de bombes ou de roquettes libérant et dispersant des quantités de projectiles explosifs de taille bien plus réduite (les « sous-munitions ») sur un rayon approximativement de 100 mètres.
Des armes à fragmentation qui font l’objet d’un traité international
Certains de ces projectiles n’explosant pas au sol conservent leur potentiel explosif, ce qui constitue une menace cachée de tous les instants, immédiatement après ce qui a explosé et pour de très longues périodes une fois les conflits armés finis, tant que des déminages minutieux et méthodiques n’ont pas été menés à bien. Raison pour laquelle ces armes, dites aussi à fragmentation, ont fait l’objet d’un traité international, la Convention sur les armes à sous-munitions adoptée par 108 États en 2008. Les États-Unis, la Russie, la Chine et l’Ukraine ne sont pas signataires de cette convention. De fait, pendant cette guerre d’Ukraine, les deux parties ont déjà eu recours à ces armes, les UkrainienEs sans aucune commune mesure avec les Russes. Elles sont utilisées également, par exemple, par l’Arabie saoudite dans l’actuelle guerre du Yémen et l’ont été dans la guerre en Syrie par la Russie déjà et le régime de Bachar qu’elle soutient.
Percer la ligne de front russe
À propos de la livraison en ce moment de ces armes à l’Ukraine, il est difficile d’échapper à plusieurs données incontournables de la situation concrète de cette guerre que brouillent les positionnements hâtifs et superficiels, trop souvent entendus, du type : « il y a bien d’autres moyens que l’usage de ces armes permettant aux UkrainienEs de vaincre » ! L’actuelle offensive ukrainienne, commencée le 8 juin dernier, a, comme en conviennent en l’absence de chiffres précis tous les observateurs sérieux, un effrayant coût humain pour les troupes de Kiev, inversement proportionnel aux km2 récupérés. Et cela à cause du minage exponentiel de la ligne de front opéré par la Russie. Cette situation a obligé l’état-major ukrainien à réorienter sa tactique offensive vers un travail de neutralisation, sur l’arrière-front de l’ennemi, de sa logistique, ce qui nécessite de disposer d’un surplus de munitions conventionnelles. Mais ce travail en profondeur n’a de sens militairement et politiquement que si ledit déminage massif du front est concomitamment mené afin que des percées de fantassins et de moyens mécanisés bonifient les effets du travail mené en profondeur. En l’état, ce déminage massif incontournable pour que l’offensive ukrainienne puisse se relancer et faire imploser l’ensemble du système défensif russe ne peut, selon les UkrainienEs, se faire que par l’usage des armes à sous-munitions dont des spécialistes rappellent que le pouvoir de neutralisation des mines russes est sans commune mesure avec ce qu’elles-mêmes disséminent comme explosifs1.
Jusqu’où ces armes sont-elles incontournables ?
Par ailleurs, les UkrainienEs, en règle générale et dans les limites qu’impose aux populations une guerre aussi violente, se sont montrés extrêmement soucieux de préserver au maximum la vie de leurs citoyenEs comme d’ailleurs de leurs combattantEs. Ils se sont engagés à prioriser l’usage de ces armes, entre autres, dans les zones à déminer qui sont par définition des zones dépourvues de présence civile.
Cet article ne cherche pas à clore un débat très complexe qui doit se poursuivre parmi les milieux solidaires de l’Ukraine mais voudrait inviter à approfondir, dans un sens comme dans un autre, au-delà de ce qui s’apparente à des impératifs catégoriques déconnectés du réel concret, cette question de la fourniture des armes à sous-munitions à l’Ukraine. L’impératif ultime étant de savoir jusqu’où assumer l’incontournable nécessité pour les UkrainienEs de repousser l’occupant russe. Ce qui pourrait être résolu parce qu’il revient, sans dommages pour l’exercice de notre pleine solidarité, aux UkrainienEs d’être souverains sur ce sujet comme sur tous les autres. L’autre boussole consisterait à nous solidariser avec le positionnement, à ce jour non exprimé, de la gauche ukrainienne engagée dans la résistance, armée et non armée à l’impérialisme russe.
- 1. Voir le débat : https://www.youtube.com/…