Publié le Vendredi 17 avril 2020 à 11h32.

Un virus nommé Poutine

La Russie est maintenant « en pleine tempête » : la pandémie coïncide avec l’effondrement de la monnaie nationale ainsi qu’avec la crise politique déclenchée par la proposition de Vladimir Poutine de modifier la Constitution. Alors que chaque dirigeant politique dans le monde cherche à apparaitre comme un souverain capable de déclarer un état d’urgence et de gagner la « guerre » contre le virus, Poutine démontre une complète absence de volonté de prendre ses responsabilités dans la situation. Au niveau national, le danger représenté par le coronavirus n’a été reconnu que la semaine dernière, le 25 mars, quand le président s’est adressé à la Nation. À ce moment-là, le nombre de personnes reconnues officiellement comme infectées était proche d’un millier, mais il était clair que, le système de santé russe étant dans une situation déplorable, on allait vers la catastrophe.

Des mesures très insuffisantes

Face à cette situation, les mesures annoncées étaient marquées par leur ambiguïté : la semaine suivante a été déclarée non travaillée, ce qui en fait veut dire que l’État refuse de rembourser les entreprises privées. Au lieu de déclarer l’état d’urgence dans tout le pays, les autorités locales ont été chargées d’évaluer la menace et d’imposer elles-mêmes des mesures restrictives. Ces mesures visant à aider celles et ceux touchés par la perte de revenu et d’emploi semblent également négligeables (particulièrement quand on les compare aux dépenses publiques en Europe et aux États-Unis). Par exemple, les petites entreprises ont droit à des exonérations de taxes pendant la quarantaine (ce qui signifie qu’elles vont devoir payer à la fin de la pandémie), et le montant des allocations chômage a été augmenté pour officiellement atteindre un minimum de subsistance de 12 000 roubles (approximativement 150 euros), ce qui ne correspond pas au véritable coût de la vie. Tout cela survient dans une situation dans laquelle, d’après les données officielles, la majorité des citoyenEs du pays n’ont pas du tout d’économies et dépendent exclusivement de leur salaire.

La répression d’abord

Au même moment, les autorités locales dans les très grandes villes comme Moscou, Saint-Petersbourg et Nijni Novogrod ont mis en place un système de restrictions de toute sortie des logements, incluant de fortes amendes en cas de non-respect de la quarantaine (qui n’a jamais été annoncée au niveau national).

L’état d’urgence n’a pas été déclaré par le souverain, mais actuellement c’est l’état réel. Cela représente non seulement un intéressant cas de philosophie politique mais signifie également que l’État n’a absolument pas la volonté d’assumer le coût social et économique en augmentant sa souveraineté.

Le 2 avril, le président s’est à nouveau adressé la nation, en disant que le régime des « jours non travaillés » allait continuer jusqu’à la fin du mois d’avril. Ce n’est toujours pas une aide unique qui permettrait à celles et ceux qui ont été privéEs d’au moins un mois de salaire, sans exonération de loyer ou d’emprunt, de faire face au coût de la vie. Les employéEs des entreprises d’État, qui ont la garantie de garder leur salaire pendant cette période, semblent un peu mieux protégés que celles et ceux employés dans les petites et moyennes entreprises (ce qui représente 40 % de tous les travailleurEs du pays).

Cependant, l’effondrement des prix du pétrole, desquels dépend totalement le budget de la Russie, et la dépréciation du rouble de 20 % qui s’est ensuivie vont inévitablement conduire à une augmentation de l’inflation et à une importante perte de revenus, que le gouvernement n’a pas l’intention de compenser. Même dans les circonstances extraordinaires de menace de la pandémie et du niveau de vie moyen courant, les autorités russes ont probablement prévu de ne pas utiliser, malgré son nom, le « fonds national d’aide social », qui a connu des années d’accumulation excessive grâce aux exportations de pétrole et se monte actuellement à 123 milliards de dollars.

Poutine et l’État se cachent

Des milliers de commentaires négatifs sur YouTube après le dernier discours du président montrent que le peuple a bien compris le sens de sa stratégie pendant la pandémie : l’État se met en retrait et se contente de s’appuyer sur les instincts de survie minimum pendant les crises en Russie. Au même moment, le coût des mesures impopulaires de contrôle policier et de restrictions doit être supporté par les autorités locales, sans exposer la popularité personnelle de Poutine.

Étonnamment, la stratégie de l’État durant la pandémie s’est concentrée au début sur le problème de la modification de la Constitution proposée par Poutine plus tôt cette année, comme si rien ne s’était passé après. Le point le plus important de cette modification est appelé remise à zéro de la limitation des mandats présidentiels, ce qui permettrait à Poutine de rester à la présidence pendant 12 nouvelles années consécutives après la fin de son mandat actuel, initiant, de fait, un règne à vie. L’amendement proposé a déjà été adopté par le Parlement et devait être approuvé par référendum le 22 avril, jusqu’à ce que celui-ci soit reporté par la pandémie.

Cependant, à la fin du mois de mars, les sondages montraient que moins de la moitié des électeurs russes approuvaient la remise à zéro de la limitation des mandats présidentiels. Il est difficile de dire comment cette situation va évoluer, mais il est déjà clair que la position actuelle de Poutine va malheureusement augmenter le nombre de ses soutiens.

Au lieu de célébrer son vingtième anniversaire, ce système politique et économique est entré dans une des pires crises de son histoire.

Le 6 avril 2020- Article publié sur LeftEast (http://www.criticatac.ro/lefteast/putins-virus-moment/) et International View Point (http://internationalviewpoint.org/spip.php?article6525)

- Ilya Budraitskis est représentant de Vpered, section russe de la IVe Internationale, membre fondateur du Mouvement socialiste russe en 2011 (traduction : Harry Smith).