Publié le Lundi 24 juin 2024 à 15h58.

Une paix populaire, pas une paix impériale

Déclaration commune d'organisations écosocialistes, libertaires, féministes, écologistes et de groupes en solidarité avec la résistance ukrainienne et pour une reconstruction sociale et écologique autodéterminée de l'Ukraine.

 

Le gouvernement suisse organisera les 15 et 16 juin 2024 une conférence internationale pour un processus de paix en Ukraine sur la montagne Bürgenstock, près de Lucerne. Le gouvernement ukrainien soutient cette conférence.

Cette conférence a lieu dans une phase décisive de la guerre. Depuis des mois, les forces d'invasion russes trouvent des failles dans les défenses ukrainiennes . L’armée ukrainienne les colmate au prix de lourdes pertes. Les dirigeants russes ont annoncé une grande offensive et attaquent les habitants de Kharkiv, une ville qui compte plusieurs millions d'habitants.

Nous soutenons toutes les mesures en faveur d'une paix qui permette au peuple ukrainien de reconstruire son pays de manière autodéterminée. La paix exige le retrait complet des forces d'occupation russes de l'ensemble du territoire de l'Ukraine. Dans cette optique, nous espérons que la conférence de paix en Suisse contribuera au rétablissement de la souveraineté de l'Ukraine.

Les conditions pour y parvenir sont extrêmement difficiles. Les représentants du régime de Poutine déclarent régulièrement qu'ils ne reconnaissent pas une Ukraine indépendante et nient l'existence du peuple ukrainien. Le régime de Poutine poursuit un projet de Grande Russie. Il soumet la population des territoires occupés par la terreur et vise à éradiquer la culture ukrainienne. Le régime au pouvoir en Russie commet régulièrement des crimes de guerre contre la population ukrainienne.

L'invasion russe à grande échelle de l'Ukraine, lancée le 24 février 2022, ne remet pas seulement en question l'indépendance de l'Ukraine. Elle encourage également d'autres régimes autoritaires à menacer les populations voisines, à occuper des territoires et à expulser massivement les personnes. Afin d'éviter toute résistance chez elle, l'armée russe recrute désormais aussi des citoyens de pays voisins et du Sud pour servir de chair à canon.

En raison de la résistance massive - et surprenante - de la population ukrainienne, les gouvernements d'Europe et d'Amérique du Nord ont commencé à soutenir l'armée ukrainienne dans sa défense contre les forces d'occupation russes. Cependant, ils soutiennent l'Ukraine pour affirmer leurs propres intérêts dans la rivalité impérialiste mondiale. Les États-Unis visent à affaiblir leur homologue russe tout en montrant leur force face à la Chine , puissance montante, et en donnant le ton aux puissances européennes qui sont à la fois partenaires et rivales. Mais bien que le Congrès américain ait finalement approuvé le 20 avril 2024 un programme d'aide pour l'Ukraine, qui avait été bloqué par le Parti républicain pendant neuf mois, le soutien à l'Ukraine est toujours resté sélectif et insuffisant.

De même, les sanctions économiques qui ont été imposées par les gouvernements de l'UE et des États-Unis contre la Russie et les représentants du régime de Poutine sont sélectives, mal ciblées et insuffisantes. Elles n'empêchent pas la Russie de continuer à

exporter du pétrole et du gaz, ainsi que d'autres matières premières stratégiquement importantes, pour remplir son trésor de guerre. Certains pays européens ont même considérablement augmenté leurs importations de GNL en provenance de Russie depuis le début de la guerre. D'autres, comme l'Autriche, achète plus de 90 % de leurs importations de gaz naturel à la Russie. Les gouvernements de ces pays obligent les consommateurs de gaz à financer la guerre de Poutine contre la population ukrainienne.

Le gouvernement suisse, hôte de la conférence de paix, n'a pas seulement accordé des allègements fiscaux aux oligarques russes depuis des décennies, il a également refusé de confisquer les biens de ces oligarques depuis le début de l'invasion russe . En tant que plaque tournante majeure du commerce international des matières premières, la Suisse offre depuis de nombreuses années aux capitaux russes d'excellentes possibilités de s’enrichir. De nombreux politiciens bourgeois ont volontiers accueilli ces entreprises en Suisse. Par la vente de produits à double usage, la Suisse contribue à l'équipement de la machine de guerre russe. Enfin, le secteur financier suisse facilite le commerce du pétrole russe.

Aux États-Unis comme en Europe, de plus en plus de voix s'élèvent au sein de l'establishment politique et économique pour lier leur soutien à l'Ukraine à certaines conditions. Leur objectif est de faire pression sur l'Ukraine pour qu'elle cède de vastes territoires et plusieurs mil- lions de personnes au régime de Poutine. Une telle paix, imposée par les grandes puissances impériales, renforcerait le régime de Poutine et ne parviendrait pas à jeter les bases d'une reconstruction démocratique durable de l'Ukraine.

Nous avons besoin d'une paix qui soit basée sur les intérêts du peuple et des travailleurs en Ukraine et en Russie avec leur soutien. Une telle perspective ne peut aboutir que si les syndicats, les organisations de femmes, les initiatives environnementales et autres organisations de la société civile d'Ukraine et de Russie jouent un rôle de premier plan dans les pourparlers de paix.

L'occupation est un crime !

Nous sommes guidés par les principes d'auto-libération, d'émancipation et d'autodétermination de la classe ouvrière et de tous les peuples opprimés, au-delà de toutes considérations géopolitiques. En ce sens, nous sommes également solidaires du peuple palestinien, qui lutte pour son autodétermination depuis des décennies. De même, nous soutenons les peuples kurde et arménien et tous les autres peuples menacés d’occupation, d’oppression nationale et culturelle.

Sur la base de notre positionnement, soutenant la résistance ukrainienne contre l'occupation russe, nous voulons contribuer à développer une perspective européenne commune pour des réformes socio-écologiques radicales et, à terme, pour une transformation éco-socialiste de l'ensemble du continent européen dans une solidarité globale.

En soumettant cette déclaration à la discussion, nous voulons contribuer à un processus transnational de compréhension et de clarification politique entre les forces de gauche qui partagent ces convictions importantes dans toute l'Europe et au-delà.

 

Douze principes pour une paix juste en Ukraine au sein d'une Europe basée sur la solidarité et l'écologie.

 

Nous, les organisations et initiatives soussignées, voulons promouvoir un processus de paix qui adhère aux douze principes suivants :

 

1. La réalisation d'une paix socialement juste et écologiquement durable exige le retrait inconditionnel et complet des forces d'occupation russes de l'Ukraine et le retour de l'ensemble du territoire dans ses frontières internationalement reconnues.

 

2. La Russie détruit systématiquement les villes, les infrastructures et l'environnement pour démoraliser la population et déclencher une grande vague de réfugiés. Contre cette terreur quotidienne, nous exigeons que les gouvernements "occidentaux" soutiennent l'Ukraine dans la protection de sa population et de ses infrastructures contre les bombardements et les attaques de missiles par la puissance d'occupation russe. Nous sommes favorables à un soutien humanitaire, économique et militaire massif des États riches d'Europe en faveur de l'Ukraine. La population ukrainienne a besoin de toute urgence d'être protégée des bombes et des roquettes russes.

 

3. Nous nous opposons aux tentatives des gouvernements "occidentaux", des représentants de l'OTAN et de l'UE de faire pression sur l'Ukraine pour qu'elle fasse des concessions massives à la puissance occupante russe. Nous nous opposons à l'idée que l'Ukraine doive céder plusieurs millions de concitoyens au régime de Poutine. C’est au peuple ukrainien de décider comment faire face à cette situation atroce d'occupation permanente, voire croissante. Nous soutenons la résistance armée et non armée des Ukrainiens contre la puissance occupante russe.

 

4. Nous demandons que tous les Russes qui refusent le service militaire bénéficient d'un statut de résident sûr dans les pays d'Europe et d'Amérique du Nord. La désertion massive est importante pour affaiblir la machine de guerre russe.

 

5. Nous soutenons la lutte politique des syndicats ukrainiens, des organisations de femmes et des initiatives environnementales contre les politiques néolibérales anti-ouvrières du gouvernement du président Volodymyr Zelenskyy. Ces politiques sapent la défense socialement étendue de l'Ukraine contre l'occupation russe et rendent impossible une reconstruction socialement juste et écologiquement durable.

 

6. Nous sommes solidaires du mouvement anti-guerre, de l'opposition démocratique et des luttes ouvrières indépendantes en Russie. Nous sommes également solidaires des nationalités opprimées en Russie qui souffrent particulièrement de la guerre et luttent pour leur autodétermination. C'est leur jeunesse qui est exploitée comme chair à canon par le régime de Poutine. Ces mouvements sont déterminants pour parvenir à une paix juste et à une Russie démocratique.

 

7. La Russie a emprisonné de nombreuses personnes originaires d'Ukraine en tant que prisonniers politiques. Beaucoup ont été condamnés à des décennies de prison et de camps pénitentiaires. Nous exigeons leur libération inconditionnelle. Nous exigeons que la Croix-Rouge internationale soit autorisée à maintenir un contact régulier avec tous les prisonniers de guerre. La libération des prisonniers de guerre est une condition préalable à toute paix juste.

 

8. La Russie doit payer des réparations au peuple ukrainien. Les oligarques de Russie et d'Ukraine doivent être expropriés. Leurs

biens doivent être mis à disposition pour la reconstruction de l'Ukraine et, après la chute du régime de Poutine, du développement démocratique de la Russie.

 

9. Nous exigeons que les gouvernements "occidentaux" annulent immédiatement la dette financière de l'Ukraine. C'est une condition cruciale pour la reconstruction démocratique du pays. Les États riches d'Europe et d'Amérique du Nord doivent mettre en place des programmes de soutien complets et étendus en faveur du peuple ukrainien et de la reconstruction de son pays. Cette reconstruction doit se faire sous le contrôle démocratique de la population, des syndicats, des initiatives environnementales, des organisations féministes et des quartiers organisés dans les villes et les villages.

 

10. Nous nous opposons à tous les projets des gouvernements européens et nord-américains, des organisations internationales, qui visent à imposer un programme économique néolibéral au peuple ukrainien. Cela prolongerait et aggraverait la pauvreté et la souffrance. Nous dénonçons également tous les efforts visant à vendre les biens et les actifs de la population ukrainienne à des sociétés étrangères. La récupération et la réorganisation de l'agriculture, de l'industrie, des systèmes énergétiques et de l'ensemble de l'infrastructure sociale doivent servir à la transformation socio-écologique de l'Ukraine, et non à la fourniture de main-d'œuvre, de céréales et d'hydrogène bon marché aux pays d'Europe de l'Ouest.

 

11. Un soutien militaire efficace de l'Ukraine ne nécessite pas une nouvelle vague d'armements. Nous nous opposons aux programmes de réarmement de l'OTAN et aux exportations d'armes vers des pays tiers. Au contraire, les pays d'Europe et d'Amérique du Nord doivent fournir, à partir de leurs énormes arsenaux existants, les armes qui aideront l'Ukraine à se défendre efficacement. En ce sens, nous demandons que l'industrie de l'armement ne serve pas au profit du capital . Au contraire, nous voulons travailler à l'appropriation sociale de l'industrie de l'armement. Cette industrie doit servir les intérêts immédiats de l'Ukraine. En même temps, pour des raisons écologiques sociales et urgentes, nous soulignons l'impératif de convertir démocratiquement l'industrie de l'armement en une production socialement utile à l'échelle mondiale.

 

12. Nous voulons lancer un débat sur une réorganisation radicale de l'Europe. Nous voulons contribuer à développer une perspective européenne commune pour des réformes socio-écologiques radicales et ultérieurement pour une transformation éco-socialiste fondamentale de l'ensemble du continent européen dans la solidarité mondiale. Dans ce cadre, nous soutenons la volonté du peuple ukrainien d'adhérer à l'UE, même si nous rejetons les fondations néolibérales de l'UE qui appauvrissent des millions de personnes et favorisent un développement inégal en Europe. Nous prenons la perspective d'une adhésion de plusieurs pays d'Europe de l'Est et du Sud-Est comme une occasion de réfléchir ensemble à la manière dont un changement socio-écologique radical peut être initié dans toute l'Europe, notamment par une stratégie énergétique commune, une reconversion industrielle écologique, des systèmes de retraite par répartition, une réglementation sociale du travail, une politique migratoire solidaire, des paiements de transferts interrégionaux et une sécurité militaire accompagnée d'une reconversion de l'industrie de l'armement. Les forces syndicales, féministes, écologiques, anti-autoritaires et socialistes d'Europe de l'Est devraient jouer un rôle important dans ce débat.

 

Cette déclaration a été lancée conjointement par Sotsialnyi Rukh (Mouvement social) en Ukraine, Posle Media Collective en Russie, Bewegung für den Sozialismus / Mouvement pour le Socialisme et solidaritéS - mouvement anticapitaliste, féministe, écosocialiste en Suisse, emanzipation - Zeitschrift für ökosozialistische Strategie (DE, AT, CH).

 

Juin 2024