Ben Ali? Dans un exile doré, en Arabie Saoudite. Moubarak? En prison, malade, et menacé de la peine capitale. Kadhafi? Lynché. Dans un proche avenir, un quatrième chef d’Etat arabe qui s’était maintenu au pouvoir pendant des décennies, le (bientôt ex-)président yéménite Ali Abdallah Saleh, devra régler les modalités de «l’Après».
A priori, son temps après le pouvoir, il voudra le passer aux Etats-Unis d’Amérique. Ceux-ci avaient d’ailleurs appuyé son pouvoir pendant des longues années, même si leur alliance n’était pas exempte de conflits, les Etats-Unis soupçonnant Saleh de gonfler délibérément la «menace Al-Qaida» afin de toujours s’assurer d’un soutien extérieur. Après avoir tergiversé et officiellement hésité de l’accueillir, en décembre 2011, les USA se sont par la suite déclarés prêts à recevoir Saleh. Cependant, dans un premier temps en tout cas, il s’agit juste de lui offrir l’occasion de se soigner.
Ce mercredi, 25 janvier, Ali Abdallah Saleh est attendu au «Presbytarian Hospital» à New York pour y recevoir des soins. Le président yéménite avait été grièvement blessé lors d’un attentat, en juin 2011. Le Département d’Etat (ministère des Affaires étrangères) des USA a bien insisté, dans ses déclarations officielles, pour dire que le visa attribué à Saleh expirait fin février 2012. Le reste est, pour le moment, encore spéculation. Officiellement, en tout cas, il est prévu que Saleh revienne au pays après l’élection présidentielle du 21 février prochain, afin d’assister à la transmission des pouvoirs à son successeur. La personne de ce dernier ne fait d’ailleurs aucun doute, vu que le parlement yéménite a entériné, le 22 janvier, la candidature unique d’un «homme du consensus» à cette élection. Il s’agit de l’actuel vice-président du régime en place, Abd (ou Abdel) Rabbo Mansour Hadi. C’est lui qui dirige dores et déjà le pays, en l’absence du (encore) président, comme il l’avait dirigé lorsque Saleh avait séjourné en Arabie Saoudite pour se faire soigner, de juin à septembre 2011. La continuité à la tête de l’Etat sera donc parfaitement assurée.
Le même jour, le 22 janvier, ce même parlement avait également voté pour la loi garantissant l’impunité totale au futur ex-président et à l’entourage de ce dernier. Celui-ci ne pourra donc plus être poursuivi pour ses crimes, ni en matière économique et sur le plan de la corruption, ni en ce qui concerne la mort violente de 500 à 600 manifestants au cours de l’année 2011. Cette condition avait fait partie du «plan de compromis» proposée, auparavant, par les monarchies du Golfe. Alors que des manifestations contre l’impunité avaient déjà eu lieu dans le pays, les semaines précédentes (13 personnes avaient été d’ailleurs tuées par des «loyalistes» lors d’une telle manifestation, le 24 décembre), le résultat du vote du 22 janvier a tout de suite fait sortir des dizaines de milliers de personnes dans les rues. Les mécontent-e-s, nombreux, revendiquent des poursuites contre Ali Abdallah Saleh, des slogans demandant ouvertement «son exécution». Des organisations de défense des droits de l’homme, telles qu’Amnesty international et HRW, se sont aussi déclarées scandalisés sur un tel exemple flagrant d’impunité garanti. Ce dernier risquant de donner le mauvais exemple à d’autres autocrates.
Malgré la continuité institutionnelle programmée, les douze mois que dure désormais le mouvement de contestation au Yémen a donné une riche expérience politique à la population. Un foisonnement d’initiatives et un bouillonnement ininterrompu n’ont pas seulement marqué le lieu du campement permanent des protestataires, «place du Changement» à Sanaa, la capitale. Ces dernières semaines, une vague de grève visant à faire «dégager» de leurs postes des proches de Salah, profiteurs de la corruption endémique, a traversé le pays. Y compris au sein des forces armées. C’était le cas dans la compagnie nationale aérienne Yemenia Airways, à l’aéroport et dans l’armée de l’air, à l’Hôpital public As-Saoura, dans la marine, dans la ville portuaire d’al-Houdaydah. Des centaines d’officiers employés dans l’office d’information de l’armée, exigeant le départ Ali al-Shater, étaient également en grève en décembre. Une telle expérience, au sein du pays, ne sera pas annulée par le simple fait que le président passera le relai à son successeur.
Bertold du Ryon