Publié le Vendredi 16 novembre 2018 à 14h09.

Justice au rabais pour les pauvres de Seine-Saint-Denis

Dans une tribune publiée dans le Monde le 5 novembre, les quinze juges pour enfants du tribunal de Bobigny lançaient un appel : « Nous sommes devenus les juges des mesures fictives alors que les enjeux sont cruciaux pour la société de demain : des enfants mal protégés, ce seront davantage d’adultes vulnérables, de drames humains, de personnes sans abri et dans l’incapacité de travailler. »

Dans leur tribune, les juges dénoncent le manque de moyens pour la protection de l’enfance en Seine-Saint-Denis. Il s’écoule ainsi jusqu’à 18 mois entre l’audience au cours de laquelle la décision de protection est prononcée par le juge des enfants et la prise en charge par un éducateur. « Près de 900 mesures, soit 900 familles sont en attente. Nous en connaissons les raisons : un manque flagrant de personnel, lié aux restrictions budgétaires, dans un contexte où la dégradation des conditions du travail éducatif et social en Seine-Saint-Denis rend plus difficiles les recrutements. En Seine-Saint-Denis, des mineurs en détresse ne peuvent ainsi plus recevoir l’aide dont ils ont besoin, faute de moyens financiers alloués à la protection de l’enfance par le Conseil départemental, tributaire en partie des dotations de l’État. »

« Des mesures exceptionnelles pour un département exceptionnel »

C’est la même chose pour les audiences pénales, faute de greffiers en nombre suffisant. Les jugements sont notifiés dans des délais pouvant atteindre une année, ce qui enlève du sens et de la lisibilité à l’action judiciaire, augmente le sentiment d’insécurité de la population : « Que faut-il répondre aux parties civiles qui attendent leur indemnisation pour un vol avec violence ou un cambriolage pourtant déjà jugé ? »

Cette situation fait écho à celle déjà décrite par la procureure de la République de Bobigny lors de l’audience solennelle de rentrée, le 29 janvier 2018,  qui reconnaissait l’état dégradé de la justice en Seine-Saint-Denis : « Quand le taux national de poursuites est de 50 % des affaires poursuivables, il est de 31 % ici. La délinquance économique et financière prospère, l’habitat indigne gagne du ­terrain ». Elle réclamait « des mesures ­exceptionnelles pour un département exceptionnel ».

Ni un hasard ni une fatalité

On est loin du compte à tous les niveaux ! Au contraire, la violence et la loi du plus fort prospèrent en même temps que grandissent les injustices et que reculent les services publics dans ce territoire. Et ce n’est pas un hasard, ni une fatalité, mais bien le résultat de la politique ultralibérale menée par les gouvernements successifs, dans la continuité desquels celui de Macron se situe.

En parallèle, l’emprisonnement des mineurEs connaît une hausse très importante : + 16,6 % au niveau national en 2017, un record depuis 15 ans, auquel il faut ajouter les quelque 1 500 mineurEs de 13 à 18 ans placés dans les centres éducatifs fermés qui sont des lieux de privation de liberté à l’égal de la prison.

Une éducatrice de la PJJ en Seine-Saint-Denis témoigne : « La plupart des parents de nos jeunes cumulent deux ou trois emplois, ils partent de la maison à 5 heures du matin et reviennent à 21 heures… La présence parentale est happée par la précarité...100 % des jeunes que je suis ont lancé des appels à l’aide à travers leurs actes de délinquance. Il y a aussi des profils psychologiques. » Elle constate « l’effondrement de divers secteurs du service public : la santé, les services de soins CMPP/CMP [centres médico-psychologiques et médico-psycho-pédagogiques] et la Protection de l’enfance, missions confiées au département qui ne fait pas face aux problématiques rencontrées en ce qui concerne le 93 ». Et elle ajoute : « Les jeunes les plus en difficulté se retrouvent alors être les moins aidés. »

Correspondant