À New York, dans les années 1960, servir des boissons alcoolisées aux homosexuels, danser entre hommes ou se travestir était interdit. Les descentes de police dans les bars suspectés d'être fréquentés par les homosexuels étaient monnaie courante.
Dans la nuit du 27 au 28 juin 1969, à la suite d'une énième descente de police, a lieu la première émeute homosexuelle et trans de l’histoire récente. Décidés à ne plus se soumettre et à contester les lois homophobes, les clients du bar le Stonewall Inn, sur Christopher street, au cœur de Greenwich Village, résistent. Des travestis, robes moulantes, talons hauts et perruques, se servent de leurs bouteilles comme projectiles, tandis que d'autres déracinent les parcmètres pour entraver l'avancée de la police. Cinq nuits d'émeutes s'ensuivent, pendant lesquelles des trans, des gays, et des lesbiennes – 2000 personnes au plus fort de la contestation – prennent possession de la rue.
Ces manifestations marquent le début d’un nouvel état d'esprit: il n'est plus question de baisser les yeux, mais d'être « fiers » (proud en anglais, d'où pride, « la fierté »). Peu après les émeutes, dans le contexte de contestation politique de la fin des années 1960, naissent de nombreux groupes militant pour la libération homosexuelle, réunis sous l’appellation Gay Liberation Front (GLF). Leur combat politique dépasse la discrimination envers les homosexuels, dénonçant le racisme, apportant son soutien aux Black Panthers et aux diverses luttes d'émancipation du tiers-monde.
En France, dans la foulée de Mai 68 et des émeutes de Stonewall, le Front homosexuel d'action révolutionnaire est créé en 1971. Il lutte au côté des féministes contre les carcans sexistes et homophobes et s'inscrit dans une perspective de subversion révolutionnaire de la société. C’est en hommage à l’émeute de Stonewall qu’ont lieu, depuis, les marches des fiertés LGBTI1 à travers le monde.
1. Lesbiennes, gays, bis, trans et intersexes.
1. 40 ans de lutte
Dans le sillage de Mai 68 et de la révolte de Stonewall, les mouvements de lutte féministes puis homosexuels, à travers le Front homosexuel d'action révolutionnaire, les Groupes de libération des homosexuels qui lui ont succédé, ont créé les conditions de l’affirmation des gays et des lesbiennes.
A la fin de la décennie, alors que s'organisait la première Gay Pride en France, le combat s'est focalisé sur l'abrogation des lois discriminatoires, qui fut effective en 1982. Au début des années 1980, cette nouvelle donne favorisa une plus grande socialisation des gays et des lesbiennes, ainsi qu'une redéfinition des revendications. L'apparition, en 1982, de l'épidémie du Sida la rendit encore plus urgente. D'un coté, face au ravage de la maladie, à l'incurie de l'Etat, les militants s'investirent dans l'information et la prévention.
Mais, dans le même temps, la question de l'égalité des droits – statut du couple, homoparentalité – émergea du refus d'être traités comme des sous-citoyens face à la maladie. Les années 1990 ont vu ces revendications portées par une mobilisation de masse. De nombreuses associations se sont créées sur la base de la reconnaissance, de la lutte contre l'homophobie, de la convivialité, en milieux étudiants mais aussi professionnels.
La participation aux marches est devenue massive, dépassant les 100000 personnes à Paris à partir de 1996. Ces mobilisations ont permis des avancées significatives comme l'adoption du Pacs, en 1999.
2. Les oppressions perdurent
La visibilité plus importante des personnes LGBTI et les avancées n'ont pour autant pas mis fin aux oppressions. L’homosexualité est encore punie d’emprisonnement, de sévices corporels, de déportation ou de travaux forcés dans une soixantaine de pays. Les actes homosexuels sont mêmes passibles de la peine de mort dans sept pays. Même si la situation est incomparable en France, la LGBTI-phobie persiste.
En 2007, SOS-homophobie a recensé 137 agressions homophobes (beaucoup ne sont pas déclarées), tandis que quatorze meurtres à caractère homophobe ont eu lieu entre 2002 et 2008. Mais, au-delà des cas extrêmes, l'oppression se manifeste au quotidien à l'école, dans le cercle familial, au travail, à travers d'insultes – « sale PD », « sale gouine » – de harcèlement et de pressions morales. Le taux de suicide, sept fois plus important parmi les adolescents homosexuels, témoigne de la violence de l'oppression. Les lesbiennes, à la fois femmes et homosexuelles, subissent une double oppression.
Les trans sont toujours considérés comme « malades ». Les déclarations récentes de la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, sur la dépsychiatrisation partielle des trans ne sont qu’un tour de passe-passe pour faire des économies (les traitements de transition ne seront plus remboursés à 100%). Les trans se verront désormais affublés de l’étiquette « trouble de l’identité de genre » et seront toujours soumis au diktat médical.
3. Rien n'est inéluctable
Les oppressions subies par les personnes LGBTI n'ont rien d'une fatalité. Elles ne sont pas le résultat de préjugés « éternels », d'une « nature » humaine hostile aux différences. Elles s'enracinent dans une société qui érige en norme l'hétérosexualité et le couple procréatif. A droite comme à gauche, le principal blocage pour accorder l’égalité des droits entre homos et hétéros est la reconnaissance officielle de la possibilité pour les couples gays et lesbiens d’élever des enfants !
Ce n'est pas simplement contre le mur des préjugés que se heurte la revendication de l'égalité des droits, mais contre celui bien plus concret de l'institution familiale et du rôle que lui assigne la société. Au lieu de socialiser la prise en charge des enfants, la société capitaliste et patriarcale en fait porter l'essentiel sur la famille, et principalement sur les femmes. Un véritable ordre moral s'exprime à travers des violences symboliques, celle entre autres de la division sexuelle des rôles, qui se traduit par la domination masculine et la construction sociale des genres. Il suffit d'ouvrir n'importe quel catalogue de jouets pour s'apercevoir de quelle façon la société et l'entourage familial orientent, dès le plus jeune âge, la différentiation sexuelle des rôles sélectionnant les comportements à chaque étape du développement, sanctionnant ceux qui s'écarteraient de la norme parce qu'ils paraissent trop « efféminés » ou parce qu'elle ressemble à des « garçons manqués »… Cela continue bien sûr par la présentation des rôles sexuels dans les manuels scolaires, magazines et films grand public, les publicités… Les LGBTI subissent de plein fouet ce modèle dominant.
4. Retour de l'ordre moral ?
Samedi 11 avril, Christian Vanneste a déclaré, au cours du « Club de la presse Internet » de France Info que l'homosexualité, «c'est dangereux pour l'humanité». Sa condamnation, pour des propos similaires tenus en 2004, a été annulée en cassation, le 12 novembre dernier, au nom de la liberté d'expression ! L'UMP de Sarkozy n'avait pas hésité à le réinvestir aux législatives de 2007. En légitimant ses propos, l'UMP, la justice et les tenants de l'ordre moral, autorisent non seulement Christian Vanneste à répandre sa haine sur les antennes, mais ils légitiment également tous les comportements homophobes, les discours, les injures, le harcèlement dont sont victimes quotidiennement de nombreuses personnes LGBTI, dans les lieux publics, au travail ou dans les écoles.
Ces déclarations ne sont pas les soubresauts d'une idéologie en voie de disparition alors que l'acceptation de l'homosexualité tendrait à se généraliser. Car les effets de 25 ans de politiques libérales, de destruction des services publics et de remise en cause des solidarités collectives s’accompagnent d’un retour en force idéologique de la famille. Face à la crise et à la précarité, les liens familiaux en viennent à constituer le dernier espace de protection pour beaucoup. La difficulté à accéder à des emplois stables et correctement rémunérés renforce la dépendance économique des individus, notamment de la jeunesse. Ce contexte pèse lourdement sur la capacité des individus à vivre et à assumer une orientation sexuelle ou un genre non conformes.
Plan d'urgence pour les LGBTI
Le vote du Pacs, en 1999, a constitué une étape dans l’égalité, mais il reste très insuffisant : le NPA exige l’égalité des droits entre homos et hétéros (mariage, filiation, procréation médicalement assistée), l’égalité des droits entre les différents statuts fiscaux (couples mariés, pacsés, concubins ou célibats). La vision essentialiste et binaire du genre (« M » ou « F »: rayez la mention inutile) conduit à la stigmatisation des trans et à la mutilation des enfants intersexes: facilitons le changement d’état civil (nom et prénom), supprimons la mention du sexe, et acceptons le droit à disposer de son corps et de sa sexualité.
L’épidémie de Sida montre combien la santé est une arme au service d’un projet inégalitaire et hétéropatriarcal. Exigeons la santé gratuite pour tous et toutes, le développement de la recherche sur la prévention et les traitements, l’abolition de la propriété privée des brevets médicaux, la dépathologisation des trans et l’accès libre aux traitements médicaux.
Lutter contre la LGBTI-phobie dans le monde nécessite véritable solidarité internationale. Nous devons soutenir les luttes d’affirmation dans leur diversité, exiger l’application du droit d’asile pour les personnes victimes de LGBTI-phobie, la régularisation de tous les sans-papiers, en couple ou célibataires, ainsi que l’abrogation des lois racistes sur l’immigration.
Afin de faire entendre ces revendications, il faut commencer par faire taire la haine des sexualités non hétéronormées. Interrogeons les représentations et les stéréotypes, informons les jeunes en questionnement sur leur identité, menons des actions collectives dans les établissements scolaires, mais aussi sur les lieux de travail et de vie. Cela nécessite aussi la remise en cause de la société, en articulant les luttes contre les oppressions sexistes, transphobes et homophobes, et les luttes contre l’exploitation.
L’émancipation passe par la destruction du patriarcat et du capitalisme.