Si l’affaire Cahuzac en dit long sur les pratiques d’un certain nombre de dirigeants politiques qui imposent aux plus pauvres des « sacrifices » desquels ils choisissent de s’exempter, elle révèle également, une fois de plus, les connivences, pour ne pas dire les liens incestueux entre sphères politique, économique et médiatique.
S’il serait exagéré d’affirmer que les journalistes de Mediapart n’ont reçu le soutien d’aucun de leurs confrères, force est de constater que durant les quatre mois séparant les premières révélations du journal et les aveux de Cahuzac, le bruit médiatique dominant s’est résumé à une mise en cause de Mediapart et à une attitude particulièrement conciliante à l’égard du ministre. Nombre d’éditorialistes, de Laurent Joffrin à Christophe Barbier en passant par l’inénarrable Jean-Michel Aphatie, ont ainsi choisi de taper sur Mediapart, contestant les méthodes d’investigation de ses journalistes, exigeant du journal qu’il produise des « preuves » (en contradiction manifeste avec le principe du secret des sources), et apportant du crédit aux mensonges de Cahuzac. Aphatie écrivait ainsi sur Twitter, quelques jours avant les aveux du ministre : « Personne ne sait si Cahuzac a un compte en Suisse. Bravo Mediapart, ça c’est du journalisme… ». Un des 80 (!) tweets de l’éditorialiste de RTL et de Canal plus au sujet de l’affaire, dans lesquels il n’a cessé de décrédibiliser Mediapart, messager devenu accusé.
Tristes médias…L’ensemble des journalistes n’a évidemment pas emboîté le pas de ces éditorialistes pour qui la parole des puissants est parole d’évangile, mais le moins que l’on puisse dire est que Mediapart n’a guère été soutenu par les autres médias qui ont, au mieux, fait état des révélations du journal en se dissimulant derrière des formules du type « selon le site Mediapart », sans chercher à les confirmer et entretenant, dès lors, la suspicion. De toute évidence, la stratégie de Cahuzac et de ses communicants a fonctionné auprès des grands médias, et les déjeuners du ministre, organisés depuis décembre, avec les équipes de Libération, de France Inter, du Point, du Nouvel Observateur et de bien d’autres ont porté leurs fruits. Au-delà de ces connivences et de ce suivisme à l’égard des classes dirigeantes, qui se manifestent par une sacralisation de la parole des puissants et par une autocensure de la plupart des journalistes, l’affaire Cahuzac révèle le triste état du paysage médiatique en France. Par souci d’économie, les grands médias exigent de leurs journalistes de publier des articles à la chaîne, ce qui interdit les enquêtes au long cours et les investigations dignes de ce nom. Et lorsque certains, comme Mediapart, tentent de pratiquer un journalisme qui se fixe pour premier objectif d’informer, et non d’être rentable, quitte à fragiliser les pouvoirs en place et l’ordre établi, les chiens de garde aboient. Cahuzac a démissionné et s’est excusé pour ses fautes. La moindre des choses serait que Barbier, Joffrin, Aphatie et consorts en fassent de même. Julien Salingue