À 87 ans, Monseigneur Jacques Gaillot vient de mourir. Il aura été engagé dans certains des combats les plus courageux de notre époque.
Sur nombre de sujets, Mgr Gaillot exprimait des opinions progressistes et, par là-même, absolument contraires aux dogmes maintenus de l’Église catholique. Ses prises de position publiques voire médiatiques étaient d’ailleurs ressenties par l’appareil clérical comme autant de provocations. Jusqu’à la sanction : en 1995, le Vatican lui retire sa charge d’évêque d’Évreux. Il est alors nommé à titre honorifique évêque du diocèse de Partenia, un diocèse purement fantôme dans la mesure où il n’y a plus en Mauritanie ni églises ni catholiques… depuis des siècles ! Mgr Gaillot fera donc de Partenia le symbole de la lutte des « sans ».
Ses interventions s’inscrivaient dans un moment très spécifique de l’histoire de l’Église catholique où, dans la foulée du concile Vatican II (1962-1965), les luttes de libération et les combats sociaux avaient réussi à s’y frayer un chemin. Mgr Gaillot est resté fidèle à sa manière à cette Église, sans pour autant renier ou même affadir ses convictions.
Quelques dates reviennent forcément en mémoire quand on veut retracer quelques épisodes de sa vie, à commencer par l’année 1989. Sous l’impulsion de la gauche radicale – en l’occurrence, la LCR – un collectif se met en place pour organiser un contre-sommet à l’occasion des cérémonies officielles de commémoration du Bicentenaire de la Révolution française. Sous le slogan « dette, apartheid, colonies, ça suffat comme ci ! », le contre-sommet veut rendre aux exclus la place qui leur revient en assumant l’héritage des sans-
culottes : manifestation de dénonciation du sommet des riches, de la dette qui écrase les peuples, de l’apartheid en Afrique du Sud et de l’existence des dernières colonies (notamment françaises). Parmi les initiatives du contre-sommet, il y a un grand concert place de la Bastille, une manifestation et une conférence de presse regroupant les principales personnalités qui soutiennent la campagne : Alain Krivine, l’écrivain Gilles Perrault, Catherine Sinet, Otelo de Carvalho, des représentants syndicaux… ainsi que Mgr Gaillot…
L’invasion du Koweit par les armées du dictateur irakien Saddam Hussein en août 1990 va servir de prétexte à la constitution d’une vaste coalition impérialiste (35 États) sous l’égide des États-Unis. Cette coalition débouchera sur l’opération « bouclier du désert », c’est à-dire l’invasion de l’Irak. Un manifeste intitulé Appel des 75 contre la guerre du Golfe s’oppose à la guerre qui vient et exige « le retrait de toutes les troupes françaises, américaines et britanniques ». On retrouve Mgr Gaillot parmi les principales personnalités signataires de l’appel, qui sera à l’initiative d’une manifestation unitaire d’ampleur en janvier 1991.
En 1994, Mgr Gaillot s’engage aux côtés des sans-logis (et des mal-logés) à l’occasion de l’occupation d’un immeuble situé rue du Dragon, dans le 6e arrondissement de Paris. Cette occupation va permettre une visibilité accrue des questions du mal-logement et médiatiser l’association Droit au logement.
En août 1995, Mgr Gaillot « récidive » dans le militantisme en faveur de la paix et pour le désarmement : il embarque sur le Rainbow Warrior, un bateau affrété par Greenpeace pour dénoncer la décision du gouvernement français de reprendre une campagne d’essais nucléaires militaires dans le Pacifique.
En 1996, la défense des sans-papiers contre les persécutions du gouvernement Juppé constitue un nouveau terrain d’engagement : avec le professeur Léon Schwartzenberg, Mgr Gaillot organise « l’occupation », négociée avec le curé de la paroisse, par plusieurs centaines de sans-papiers africains, de l’église Saint-Bernard, dans l’est parisien. Elle se passe bien jusqu’à ce que le gouvernement décide l’expulsion, offrant ainsi au monde stupéfait cette image effarante d’un membre des « forces de l’ordre » fracassant à coups de hache la porte de l’église…
Malgré l’âge, Jacques Gaillot n’avait en rien renoncé au combat : on le retrouve ainsi parmi les signataires des marches contre l’austérité organisées par le Front de Gauche au milieu des années 2010 ou encore, beaucoup plus récemment, au printemps 2022, en soutien au campement organisé place de la Bastille par le DAL.
Mgr Gaillot n’a pas limité ses engagements au seul terrain de ce qu’il est convenu d’appeler les « mouvements sociaux » : il s’est parfois aventuré courageusement sur le terrain proprement politique, voire partidaire. Ainsi, au printemps 2002, Jacques Gaillot faisait partie des personnalités – à vrai dire assez rares, mais de qualité ! – soutenant un tout nouveau candidat à l’élection présidentielle, Olivier Besancenot…
Jacques Gaillot, « évêque des sans » : presente !
François Coustal est membre de la Gauche écosocialiste et de la IVe Internationale. Ce texte est une version raccourcie de la version publiée sur la site de la GES, avec l’aimaible autorisation de son auteur.