Dans son essai « le Prix de la démocratie » (Fayard, 2018), l’économiste Julia Cagé décrit avec finesse et clarté les limites du système de financement de la vie politique en France. Mais surtout, elle en tire une très stimulante proposition de réforme... qu’il faut aussi critiquer.
Complété par la fin de la déduction fiscale et la limitation drastiques des dons et cotisations, le système des Bons pour l’égalité démocratique (BED) proposé par Julia Cagé forme un système cohérent mais qui asservit le financement des partis à un État... qui n’est pas neutre ! Dès lors, les problèmes s’enchainent selon une ligne claire qui est celle de notre rapport à l’État bourgeois, lequel dépasse de très loin notre intérêt politico-financier bien compris et engage rien moins que l’articulation entre notre stratégie et notre projet révolutionnaire.
Dangers et incertitudes
Sauf à croire qu’il accepterait de se rendre aveugle à une technologie de cryptage qu’il aurait lui-même développée, l’État connaitrait l’opinion politique de presque chaque citoyen. Un cauchemar dystopique dont nous n’avons jamais été aussi proches compte tenu des besoins politiques et des moyens techniques du pouvoir.
Faire transiter le financement des partis par la seule déclaration fiscale engendre des biais qu’il faudrait mesurer quant au caractère réellement inclusif du procédé. Quid de ceux qui s’en remettent, parfois dans le cadre d’un puissant ascendant, à un membre de leur famille pour toutes les questions administratives et financières ? Quid de ceux qui, comme beaucoup de sans-papiers, n’en remplissent pas du tout ?
Le seuil des 500 000 contribuables pour bénéficier du système n’est pas scandaleux. Un parti comme le NPA pourrait peut-être l’atteindre sous réserve d’une forte mobilisation annuelle mais aussi d’une promotion générale et régulière du système par l’État. En cas de réussite, nos recettes seraient au moins multipliées par quatre ! Mais il n’en reste pas moins qu’il s’agit... d’un seuil. Comment justifier qu’une petite organisation puisse osciller, d’une année sur l’autre, entre un financement public minimal de 3,5 millions d’euros et un financement nul ?! Aucune politique financière ne peut être assurée dans une telle incertitude et sur de telles sommes.
Quelle autonomie vis-à-vis de l’État ?
Puisque l’État verserait directement et massivement leur financement aux partis, il serait plus facile pour lui de « couper les vivres » aux récalcitrants sous divers prétextes et permettre une forme de dissolution masquée. À tout le moins ce pouvoir accru de pourvoyeur unique permettrait certainement à l’État de durcir encore une législation de plus en plus intrusive dans la vie (financière) des partis.
Parce que limité à 17 euros par mois, l’apport des donateurEs et surtout des cotisantEs empêcherait de construire un parti de militantEs déterminés ayant une relative autonomie vis-à-vis de l’État. Il n’est pas acceptable que l’investissement financier notable des militantEs révolutionnaires soit bridé alors même qu’il s’inscrit dans la défense des intérêts du plus grand nombre. Si la disparition de la déduction fiscale est envisageable, le plafonnement des dons et cotisations devrait donc être fixé à 2 500 euros, soit le montant réel versé après déduction fiscale.
Un nouveau système financièrement généreux, formellement démocratique et techniquement simple n’est pas une panacée. Se défendant de tout solutionnisme, Julia Cagé reconnaît que l’enjeu fondamental est de redonner confiance et participation aux masses dans le système politique. C’est bien le minimum. Qui peut en douter ? Sauf que le dérisoire meccano institutionnel qu’elle propose afin d’y remédier est à des années-lumière des enjeux ! C’est alors que le nœud coulant politique se referme et nous oblige à considérer, dans une analyse concrète et sans joie aucune, que le système proposé par Julia Cagé, si tant est qu’il puisse être mis en place, produirait dialectiquement des effets au moins aussi néfastes que l’existant...