Publié le Jeudi 19 novembre 2020 à 15h08.

Construire les solidarités et les ripostes face à un gouvernement qui fait primer le profit sur nos vies

La crise sanitaire est là. Les personnels des hôpitaux, épuisés, tirent la sonnette d’alarme, mais le Premier ministre explique doctement que « le meilleur moyen de soulager l’hôpital, c’est de ne pas tomber malade ». L’irrationalité sanitaire des décisions gouvernementales est, plus que jamais, mise à nu, et les colères, jusqu’alors souvent contenues, explosent, entre autres dans l’éducation nationale, face à un pouvoir obsédé par la menace d’une « paralysie » de l’économie et déterminé à nier les évidences, quitte à se contredire lui-même en permanence.

 

La deuxième vague est là, les hôpitaux vont déborder

La situation reste marquée par la progression de la pandémie de Covid, avec des chiffres qui continuaient de monter début novembre et qui annonçaient un nouveau pic à venir. La deuxième vague est brutale, massive sur tout le territoire. Plus brutale que la première, si l'on tient compte du fait qu'aujourd'hui, masques, distanciation et couvre-feu sont la norme, ce qui n'était pas le cas au printemps. Le 13 novembre, le nombre d’hospitalisations pour Covid (32 654) dépassait le pic enregistré le 14 avril (32 292).

Grâce au personnel des hôpitaux, la première vague avait pu être franchie, au prix de 32 000 morts directs et d'un confinement de 55 jours payés au prix fort, notamment par l'abandon des autres pathologies. La situation est aujourd'hui bien différente, mais en pire. L'été n'a pas été mis à profit pour embaucher et ouvrir des lits. Les mesures ont été trop tardives, plus dictées par la volonté de maintenir la chaîne des profits que par un quelconque souci de santé publique.

Depuis 20 ans, ce sont plusieurs dizaines de milliers de lits qui ont été supprimés, 8000 sur les deux dernières années. Mais pour Macron, « ce n'est pas une question de moyens, mais d'organisation ». Olivier Véran promet de son côté 12 000 lits de réanimation. Le président du Conseil national professionnel d’anesthésie-réanimation lui répond : « Avant le Covid, 10% de nos 5000 lits de réanimation étaient fermés, faute de personnel. On estime aujourd’hui ce taux entre 15 et 20%. On est dans un jeu de poker menteur. » Alors qu'en Espagne par exemple, de véritables hôpitaux sont créés en urgence pour accueillir les milliers de malades qui vont nécessiter une oxygénothérapie, non seulement Macron et Véran n'ont pas créé de lits, mais les projets de fermeture ont continué pendant l'été. 300 lits à Caen, 80 à l’HP de Sotteville-lès-Rouen…

Les personnels sont donc non seulement fatigués, mais ils sont aussi démotivés. Les applaudissements ne se sont pas transformés en ouvertures de lits. Écœurés car aucune campagne massive de tests n'a été réalisée dans les hôpitaux, pour une raison très simple que nous connaissons touTEs : cela aurait encore réduit le personnel. Au point qu'aux Hospices civils de Lyon, la direction avoue dans ses circulaires qu'il faut faire travailler les personnels covid+ qui ne présentent que des symptômes légers… Alors beaucoup sont partis de l'hôpital. Partout des postes infirmiers sont vacants. Rappel des vacances, jours de congés annulés, Ségur et promesses d'une prime n'y feront rien, l'hôpital va se noyer et le personnel le sait.

Les responsabilités du gouvernement

Il apparaît de plus en plus évident, et de plus en plus largement, que les décisions du gouvernement ne sont en aucun cas motivées par les impératifs de santé publique et par la protection des vies. Les conditions du deuxième « confinement », à l’œuvre depuis le 30 octobre, qui n’est en réalité qu’une forme de couvre-feu étendu, sont ainsi des plus rocambolesques : défense d’aller prendre un verre dans un bar… mais obligation d’aller enseigner dans des classes surchargées ; interdiction d’organiser un repas avec des amiEs… mais l’atelier confiné avec 25 collègues, ça continue ; le cinéma, c’est fini… mais on pourra continuer à s’entasser dans des métros et des bus bondés.

Comment croire une seule seconde que le couvre-feu étendu que constitue le deuxième « confinement », sur le modèle métro-boulot-dodo, est une réponse adéquate face à la nouvelle flambée de Covid ? Les recettes de Macron et compagnie sont une fois de plus marquées du sceau du néolibéralisme autoritaire : le pouvoir joue avec le feu, et donc avec nos vies, obsédé qu’il est par la menace d’une « paralysie » de l’économie et déterminé à nier les évidences, quitte à se contredire lui-même en permanence.

Le gouvernement porte une immense part de responsabilité dans le re-développement de l’épidémie, et ce ne sont pas les mensonges au sujet d’une deuxième vague « largement inattendue » (Gabriel Attal) qui occulteront cette responsabilité. Dès le mois de juin, de nombreuses voix se faisaient entendre pour prévenir du risque d’une deuxième vague. Le président du conseil scientifique lui-même, Jean-François Delfraissy, peu suspect d’hostilité au gouvernement, alertait ainsi les autorités, le 18 juin, sur le risque d’une « vraie deuxième vague à l’automne ». Quelques jours plus tard, le 22 juin, le Conseil scientifique écrivait : « Une intensification de la circulation du SARS-CoV-2 dans l'hémisphère nord à une échéance plus ou moins lointaine (quelques mois, et notamment à l'approche de l'hiver) est extrêmement probable ». Et ce ne sont que les exemples les plus institutionnels…

Qu’a fait le gouvernement ? Rien, ou presque. Aucune politique sérieuse concernant les tests : ni embauches, ni commande de machines, ni mise en place de tests rapides, ni réel traçage. Aucune politique de distribution gratuite des équipements de protection (masques notamment), ni de prévention. Aucune politique d’embauches massives à l’hôpital, de réouvertures de lits et de services, malgré les demandes continues des personnels. La liste n’est pas exhaustive. Et pendant ce temps-là, des dizaines de milliards d’euros étaient injectés dans les caisses du patronat, sans contrôle ni contreparties, tandis que la crise sociale s’étend.

Plus d’un million de suppressions d’emplois

Il y a toujours un décalage temporel entre l’entrée en crise et les suppressions d’emplois, notamment les plans de licenciements collectifs. Néanmoins, les suppressions d’emplois sont déjà massives malgré les dispositifs de chômage technique qui ont coûté un « pognon de dingue » aux contribuables. Elles prennent avant tout la forme du non-renouvellement de CDD, du moindre recours à l’intérim, et du non-remplacement des départs à la retraite. Elles sont donc moins « visibles » et médiatisées que les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), mais elles se chiffrent déjà en centaines de milliers. L’INSEE estimait avant le reconfinement qu’il y aurait 840 000 emplois supprimés cette année. C’était une prévision optimiste qui est d’ores et déjà caduque : il y aurait probablement plus d’un million de suppressions d’emplois cette année.

Les plans sociaux (licenciements économiques de plus de 10 salariéEs dans les entreprises de plus de 50 salariéEs) prennent de l’ampleur même s’ils ne représentent pour l’heure qu’environ 10% des suppressions d’emplois. Sur la période allant de début mars à la troisième semaine d’octobre 2020, 567 PSE ont été initiés concernant 2 500 établissements en France. Ces procédures concernent environ 62 100 ruptures de contrats de travail, soit plus du double de ce qui avait été envisagé sur la même période en 2019.

Ces ruptures de contrats associées à un PSE sont plus nombreuses parmi les entreprises les plus grandes, c’est-à-dire celles de 1 000 salariéEs ou plus. En effet, depuis le 1er mars 2020, un peu moins d’une rupture envisagée sur deux (44%) concerne les grandes entreprises alors que celles-ci ne représentent qu’un peu plus d’un PSE sur dix initiés (12%).

Les deux secteurs qui prévoient le plus de ruptures de contrats de travail sur la période sont l’industrie manufacturière (41% des ruptures envisagées), et le commerce et la réparation automobile (23%). Viennent ensuite les secteurs des activités spécialisées, scientifiques et techniques (9%), du transport et entreposage (6%), de l’hébergement et de la restauration (6%) et celui des activités de services administratifs et de soutien (5%).

D’autres chiffres indiquent l’ampleur de la crise sociale et l’absence totale de formes de redistribution des richesses et des « aides » déployées par le gouvernement. On retiendra ici ceux qui ont été publiés par le Secours catholique le 12 novembre, selon lesquels la barre des 10 millions de pauvres sera franchie avant la fin de l’année 2020, soit 10 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté monétaire, établi à 1 063 euros par mois par l’INSEE. Aucun doute : la crise sociale est là, mais le pire est à venir.

Pour lutter contre le Covid, il faut lutter contre le gouvernement

Dans un tel contexte, nombreux et nombreuses sont celles et ceux qui refusent aujourd’hui de consentir docilement au confinement/couvre-feu imposé par les mêmes qui n’ont rien fait pour freiner réellement la deuxième vague. A fortiori dans la mesure où les décisions tombent d’en haut, sans aucune concertation, sans aucun processus d’association de la population, avec pour conséquence des mesures souvent aberrantes et/ou inapplicables, et des dispositifs toujours plus liberticides pour faire respecter lesdites décisions, à coups de verbalisations, voire de matraque. Alors quand, de surcroît, le gouvernement franchit de nouveaux caps en tentant par exemple d’exploiter honteusement, lors de la rentrée scolaire, l’assassinat de Samuel Paty, la colère explose.

À l’image de ces enseignantEs et de ces lycéenEs qui se mobilisent pour faire entendre leur ras-le-bol, nous refusons de laisser le gouvernement confiner nos colères. Hors de question de rejouer la partition du confinement du printemps, avec la pression à l’unité nationale face à la maladie et la seule perspective de se mobiliser « après ». Nous devons le dire haut et fort : pour lutter efficacement contre le Covid, il ne suffit pas d’adopter les – nécessaires – comportements individuels et collectifs responsables, mais il faut lutter, ici et maintenant, contre un gouvernement et ses politiques qui font primer les profits sur la vie. À l’instar de ce qui se passe dans diverses entreprises et dans l’éducation nationale, où les salariéEs affirment qu’ils et elles sont les mieux placés pour savoir ce qui est essentiel et comment réorganiser le travail, et qui ont forcé Blanquer à de premiers reculs. À l’instar aussi des initiatives locales qui se développent, comme à Toulouse ou à Besançon, avec des manifestations unitaires, regroupant personnels hospitaliers, associations, syndicats et partis politiques, organisées le 7 novembre pour exiger des moyens pour la santé et la fin des mesures liberticides, et qui sont appelées à se reproduire et se généraliser.

Au niveau national, à l’initiative de Solidaires, un appel a été publié concernant les libertés publiques et le climat islamophobe, qui permet de dépasser la paralysie qui a saisi la plupart des organisations du mouvement ouvrier suite aux assassinats de Conflans et de Nice. Des initiatives sont également en préparation contre la loi « séparatisme », qui sera présentée au conseil des ministres le 9 décembre prochain, et dont on ne doute pas qu’elle sera un nouveau cap dans la stigmatisation des musulmanEs et les attaques contre les libertés publiques.

Sur ces diverses thématiques, auxquelles s’ajoutent les nouvelles dispositions liberticides (loi de « sécurité globale », mais aussi menaces contre les possibilités de se mobiliser dans les universités), des cadres de mobilisation se construisent dans diverses villes, pour venir en appui aux luttes existantes et/ou pour impulser des rendez-vous, dans la rue, autour de revendications pour la santé et contre l’autoritarisme. Une politique qu’il faut tenter de généraliser, en essayant de regrouper autour de mots d’ordre sur les questions de santé (crédits pour l’hôpital, embauches, ouvertures de lits, système de tests efficient, protections gratuites, etc.), pour la défense des emplois (interdiction des licenciements, réduction du temps de travail…), sur les libertés publiques (contre l’autoritarisme, contre la loi de « sécurité globale »), contre le racisme et l’islamophobie (avec notamment la perspective de la loi « séparatisme »), sur le rôle central des salariéEs dans l’établissement des protocoles sanitaires (à l’image de ce qui se passe dans un certain nombre d’établissements scolaires) et, plus globalement, de la population dans la gestion de son auto-protection collective face à l’épidémie.

Combattre les fausses alternatives, proposer un autre monde

Dans un tel contexte, les propositions anticapitalistes peuvent avoir un écho réel, en combattant notamment le discours ambiant qui veut opposer la santé aux emplois et la lutte contre le Covid aux libertés publiques.

La fausse alternative, imposée dans le débat public, entre la santé et les emplois, qui repose sur le double postulat de la nécessaire croissance et de la toute-puissance du patron dans son entreprise, est particulièrement malhonnête… et dangereuse. Au nom de l’exigence revendiquée de ne pas « mettre le pays à l’arrêt » et/ou « l’économie à genoux », on nous explique ainsi qu’il faut « assouplir les protocoles sanitaires », voire « assumer le risque » pour la santé des salariéEs.

Sont ainsi exclues du champ de la discussion toutes les questions – légitimes – qui se sont posées avec acuité lors du confinement du printemps : quelles sont les productions réellement utiles ? Quels sont les domaines desquels le privé doit être exproprié pour en finir avec les logiques de rentabilité ? Comment organiser le travail dans les secteurs indispensables, en écoutant en premier lieu les salariéEs, afin d’éviter les contaminations ? Comment partager davantage le travail, en réduisant massivement sa durée hebdomadaire sans perte de salaire, pour que cette réorganisation globale ne se fasse pas au détriment des salariéEs ? Comment financer tout cela en prenant l’argent là où il est, plutôt que de dilapider des dizaines, voire des centaines de milliards d’argent public, pour des « plans de relance » dont les recettes n’ont jamais fonctionné ? L’occasion, en outre et bien évidemment, de poser la question de l’interdiction des licenciements et des suppressions de postes, avec des mécanismes garantissant la pérennité du salaire en toute circonstance, financés par une taxation des profits des grands groupes et des richesses des grandes fortunes.

Quant à l’opposition entre les libertés publiques et la lutte effective contre la pandémie, elle s’inscrit dans la fausse idée selon laquelle le combat contre le développement du Covid passerait nécessairement par des mesures contraignantes, imposées d’en haut. Le pouvoir porte une responsabilité écrasante dans la diffusion de cette idée, en raison de sa gestion autoritaire de la crise sanitaire et des incohérences de son discours, entre autres et notamment sur les masques. La méfiance, voire la défiance, s’est installée, à l’égard des mesures de protection sanitaire, qu’il s’agisse des masques justement, ou plus globalement des gestes barrières, sans même parler du tracking ou des applications gouvernementales.

Sortir de cette fausse alternative impose de rappeler que la seule possibilité de lutter collectivement contre une épidémie comme le Covid est de refuser toute forme d’infantilisation et de (se) convaincre que les seules mesures qui sont vraiment respectées sont celles que chacunE comprend et accepte car il ou elle les a construites, est persuadé de leur justesse, et que le collectif lui donne les moyens de les respecter tout en continuant à vivre. En d’autres termes : une véritable démocratie sanitaire, où la population est correctement informée, pleinement associée aux décisions et à leur mise en œuvre, et où l’auto-organisation et les solidarités se substituent à l’autoritarisme et aux sanctions.

Nous ne sommes pas condamnés à subir les politiques antisociales et antisanitaires du gouvernement, et prendre au sérieux l’épidémie de Covid ne signifie pas faire taire nos voix et nos luttes. Il s’agit désormais d’amplifier ces résistances, de construire les solidarités locales comme les convergences sectorielles et les fronts politiques, afin de ne pas laisser la main à un pouvoir irresponsable mais qui ne reculera que si nous avançons. Au-delà, il s’agit de défendre la perspective d’une autre société et d’un autre monde, seule option face à un système qui nous promet toujours plus de crises, épidémiques, sociales, écologiques.