Publié le Mercredi 17 février 2021 à 09h01.

Contre la fausse alternative Macron-Le Pen : nos luttes, nos solidarités

Nous n’attendions rien du débat entre Darmanin et Le Pen jeudi 11 février sur France 2, et nous n’avons pas été déçus. Une répétition générale en vue de la campagne présidentielle ? À nous de tout faire pour que ce ne soit pas le cas.

« Macron et Le Pen misent sur un nouveau duel en 2022 » : cette « Une » du Figaro (10 février) pourrait résumer à elle seule l’ambiance politico-médiatique du moment. Gestion calamiteuse de la crise sanitaire par le gouvernement, crise sociale d’ampleur doublée d’une explosion des inégalités, un million de postes supprimés depuis un an : autant de questions essentielles qui mériteraient que l’on s’y attarde, mais qui ont été éclipsées, ces derniers jours, par les sondages et les pronostics sur la présidentielle d’avril 2022, et par la scénarisation du duel Macron-Le Pen.

Bulle politico-médiatique

Le sociologue Pierre Bourdieu écrivait au sujet des sondages que « dans le simple fait de poser la même question à tout le monde se trouve impliquée l’hypothèse qu’il y a un consensus sur les problèmes, autrement dit qu’il y a un accord sur les questions qui méritent d’être posées. »1 En d’autres termes, les sondages participent de cette illusion selon laquelle les questions qui sont posées aux sondéEs seraient celles qu’ils et elles se posent, alors qu’en réalité ce ne sont que celles que posent les sondologues et ceux qui leur commandent des enquêtes. Des bulles politico-médiatiques sont ainsi construites, autour de tel ou tel sondage, appuyé sur tel ou tel fait divers, qui alimentent le commentariat journalistique et les « petites phrases » des politiques, reléguant au second plan les autres questions, y compris celles qui préoccupent réellement la majorité de la population.

C’est précisément une séquence de ce type que nous sommes en train de subir, avec la mise en scène du duel Macron-Le Pen pour 2022, sur fond de « débat » autour de la loi « séparatisme ». Une mise en scène voulue par la Macronie et le RN, qui y voient tous les deux leurs intérêts : du côté du parti d’extrême droite, il s’agit d’asseoir la position d’opposant numéro 1 et la stature « présidentiable » de Marine Le Pen ; du côté du pouvoir, il s’agit, dans le prolongement de ce qui s’était fait aux élections européennes, d’imposer l’idée selon laquelle il n’y aurait pas d’alternative à un face-à-face Macron-Le Pen, et d’installer Macron en seul « rempart » face à l’extrême droite. Une mise en scène que les grands médias alimentent complaisamment, friands qu’ils sont de la personnalisation de la politique, de la bipolarisation des débats et des concours de pronostics à grands renforts de sondages sur mesure.  

Aucune fatalité à se laisser enfermer

Les sondages ont ceci de passionnant qu’ils peuvent dire absolument tout… et son contraire. Ainsi en va-t-il de celui, commandé à l’Ifop par le Figaro, appuyant la « Une » que nous citions plus haut. On apprend en effet dans cette enquête que 67 % des sondéEs estiment qu’il est « probable que le second tour de la prochaine élection présidentielle oppose Emmanuel Macron à Marine Le Pen ». Voilà qui semble justifier la mise en scène du « duel »… Sauf qu’en réalité, une telle question, qui ne renseigne aucunement sur les intentions de vote des enquêtéEs, fait en dernière analyse partie de cette mise en scène qui a tout d’une prophétie auto-réalisatrice. On apprend en effet dans le même sondage que 70 % des enquêtéEs ne « souhaitent pas que le second tour de la prochaine élection présidentielle oppose Emmanuel Macron à Marine Le Pen ».

Ainsi, de l’aveu des sondologues eux-mêmes, et ce quand bien même les motivations seraient fort diverses et pas nécessairement « additionnables », une large majorité des sondéEs refuse l’alternative qu’on voudrait leur imposer. Et on les comprend ! Le faible succès d’audience du pathétique débat entre Darmanin et Le Pen jeudi 11 février, au cours duquel on n’a cessé de se demander qui voulait doubler qui sur sa droite, en témoigne : le spectacle de la droite extrême et de l’extrême droite rivalisant d’outrances racistes et islamophobes n’est pas ce dont la très grande majorité de la population a envie et besoin, préoccupée qu’elle est par les effets des crises sociale et sanitaire. Et il n’y a aucune fatalité à se laisser enfermer dans le numéro de duettistes que nous jouent les meilleurs ennemis du champ politique.

Solidarités concrètes et luttes collectives

Encore faut-il pour cela contester le double enfermement – électoral et idéologique – dans lequel s’inscrit la mise en scène du duel Macron-Le Pen : en refusant le calendrier que l’on voudrait nous imposer, selon lequel il faudrait attendre 2022 et une solution « dans les urnes » pour imposer d’autres choix ; en s’opposant sans ambiguïté, ici et maintenant, aux thématiques pourries de l’extrême droite et de la droite extrême, aux lois racistes et liberticides, en articulant cette opposition à la mise en avant de revendications sociales et sanitaires, appuyées sur les mobilisations et l’auto-organisation, et en défendant la perspective d’un autre monde.

Il est illusoire de penser que, pour en finir avec la fausse alternative Macron-Le Pen, la solution miracle résiderait dans la fabrication du bon programme et du bon meccano électoral pour 2022. Ce qui est à l’ordre du jour au vu des urgences sociales et sanitaires, et qui conditionnera en outre largement le contexte dans lequel les élections de l’an prochain se tiendront, est la construction d’une riposte unitaire et massive pour mettre un coup d’arrêt aux politiques libérales, autoritaires et racistes du gouvernement Macron, ainsi qu’une bataille idéologique contre l’extrême droite et ses idées. La priorité des organisations de la gauche sociale et politique devrait être d’œuvrer à convertir la colère et la radicalité qui se sont exprimées ces derniers mois en expériences de solidarités concrètes et de luttes collectives victorieuses, seules à même de faire vivre un horizon politique de rupture et d’éclaircir un tableau de plus en plus assombri.

  • 1. « L'opinion publique n'existe pas » (1972)