L’enquête sur les soupçons d’achat de voix par Dassault lors des élections municipales de 2008, 2009 et 2010 à Corbeil-Essonnes, connaît un nouvel épisode révélateur des frasques rocambolesque du milliardaire. Libération et France Inter ont rendu publics des procès-verbaux de Gérard Limat, comptable suisse au service de la famille Dassault depuis 46 ans, entendu début octobre par des juges...
Le comptable a été mis en examen pour « complicité de financement illégal de campagnes électorales et d’achat de votes » et « blanchiment » par les juges d’instruction en charge de l’enquête sur la corruption électorale présumée à Corbeil. Il a décrit le stratagème mis en place pour faire sortir de Suisse, entre 1995 et 2012, 53 millions d’euros en liquide et les amener jusqu’au bureau de Serge Dassault dans des sacs Carrefour, Dior, Fnac… Des liquidités qui ont, entre autres, été redistribuées à des électeurs de Corbeil-Essonnes en échange de leur voix.
Un système méthodiquement élaboréEntre 2008 et 2012, Limat a effectué 33 livraisons. « Je précise que Serge Dassault ne me demandait pas une somme en particulier. Il m’appelait, il me disait qu’il avait besoin de me voir, je comprenais qu’il avait besoin d’argent liquide. » Limat commandait alors 100 000 à 700 000 euros, en fonction de ce que Cofinor, société suisse, pouvait livrer. Il fixait un rendez-vous dans le quartier des Champs-Élysées. Le livreur de Cofinor le reconnaissait grâce à sa description, « grand chauve à lunettes », et son nom de code, « Romano ». 53 millions d’euros, « c’est un flux normal qui correspond aux demandes de Serge Dassault. Ce n’est pas beaucoup en quinze ans », a-t-il affirmé sans rire. Il existait aussi un compte ouvert au Luxembourg, banque Edmond de Rothschild, au nom de la société Merger, immatriculée aux îles Vierges britanniques, pour « protéger » en cas de besoin un de ses fils. Puis au Liban, la société Iskandia, pour récompenser des acheteurs de voix après les élections de 2010...De son côté, Dassault assure n’avoir «jamais donné un sou à quiconque pendant les campagnes ». Il aurait simplement «aidé les gens à travailler. [...] Il m’est arrivé de donner de l’argent, mais jamais sans raison. J’ai acheté un camion à l’un, une pizzeria à un autre, des choses comme cela »...Puis est venu le moment des règlements de compte, des chantages, des menaces physiques, des tentatives de meurtre. Dassault s’est pris au piège de son système mafieux, dans la spirale meurtrière des règlements de compte. En février 2013, Younès Bounouara est soupçonné d’avoir tenté d’abattre en plein centre-ville Fatah Hou. Ce dernier l’aurait fait chanter en menaçant de révéler que Bounouara avait touché près de deux millions d’euros en provenance de Dassault. Fatah Hou porta plainte auprès du parquet d’Évry, notamment pour association de malfaiteurs. Et récemment, c’est une école qui a été incendiée en représailles...Le plus étonnant dans cette sinistre affaire de corruption mafieuse est le temps qu’il a fallu pour que la vérité commence à être reconnue. Le pouvoir de l’argent est bien protégé, même dans son usage le plus hors la loi !
Yvan Lemaitre