Contre la vengeance d’État, la mobilisation se construit.
« L’État ne doit pas donner suite à l’extradition des exiléEs politiques italiens, ces "ombres rouges" que poursuit une vengeance d’État » : la tribune publiée dans le Monde le 21 mai, signée par 299 artistes, universitaires, intellectuelEs, avocatEs, prend clairement position pour rappeler le cadre dans lequel les militantEs italiens menacés d’extradition ont été condamnés : « De l’attentat néofasciste de la piazza Fontana, à Milan, en décembre 1969, à celui de la gare de Bologne en août 1980, sur les 362 meurtres attribués aux militants d’extrême gauche par le ministre de la Justice français, Éric Dupond-Moretti, les deux tiers sont le fait de cette extrême droite adepte des attentats aveugles tuant des dizaines de personnes dans les lieux publics. Cette extrême droite, dont les ramifications dans l’appareil d’État sont aujourd’hui avérées, n’a été que marginalement poursuivie.
« Procédures incompatibles avec l’État de droit français »
Les faits reprochés remontent à plus de quarante ans. Les personnes concernées ont été jugées et condamnées en Italie dans des conditions d’une répression féroce et de masse (60 000 procès, 6 000 prisonniers politiques), marquée par de nombreux enfermements sans condamnation, sur la foi d’enquêtes hasardeuses. […]
Les procédures utilisées pour imposer les peines avaient été jugées, à l’époque, incompatibles avec les principes de l’État de droit français. À cette époque, en effet, un arsenal législatif d’exception a été mis en place en Italie, dirigé principalement contre l’extrême gauche.
La loi Reale de 1975, les décrets-lois de 1978, 1979 et 1980 ont renforcé les pouvoirs de la police, alourdi les peines, militarisé la lutte antiterroriste. Le dispositif des "repentis" a permis des remises de peine à des accusés qui ont dénoncé d’autres personnes. C’est dans le cadre de ces lois et sur la foi de déclarations de ce type qu’ont été prononcées de nombreuses condamnations. »
Les signataires dénoncent « le refus de toute amnistie, un demi-siècle parfois après les faits, est choquant alors que celle-ci fut accordée aux fascistes et collaborateurs immédiatement après la guerre (loi de 1944 et amnistie de Togliatti de 1946). Mais accorder l’amnistie reviendrait à reconnaître le caractère politique du conflit qui a secoué l’Italie durant ces années, à arrêter de traiter des militants politiques comme des délinquants, voire des mafieux. »
« Liberté totale, suspension de l’extradition et arrêt des poursuites »
« Pour effacer des mémoires et de l’histoire dix ans de luttes sociales et ouvrières, rebaptisées "années de plomb", l’État italien, aux antipodes de toute considération humaine, veut faire mourir en prison des femmes et des hommes un demi-siècle après les faits.
Cette opération d’extradition négociée entre les deux États a été nommée "Ombres rouges". La volonté obstinée de revanche d’État que réactive le gouvernement italien rencontre aujourd’hui la stratégie ultrasécuritaire du pouvoir français de mise en place de législations liberticides.
En donnant suite à cette demande d’extradition pour la première fois collective, l’État français non seulement se ferait complice de cette opération de réécriture de l’histoire, mais ferait un pas de plus sur son territoire dans la voie de la criminalisation au nom de la lutte antiterroriste de celles et ceux qui s’opposent aux pouvoirs. »
Cette tribune rappelle l’urgence pour les organisations politiques, syndicales et associatives à se positionner avant le début des procédures judiciaires, pour exiger avec les signataires « la liberté totale, la suspension de l’extradition et l’arrêt des poursuites ».