Entretien avec Jean-Yves Camus, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Propos recueillis par Gabriel Gérard Les élections européennes de 2009 révélaient une forte poussée des droites conservatrices et des extrêmes droites. Concernant ces dernières, les scrutins nationaux qui se déroulent, depuis 2009, semblent confirmer cette tendance. Quelles sont les forces concernées ? Quelles sont les raisons de cette progression ? La tendance s’est effectivement confirmée lors des élections législatives finlandaises du 17 avril, qui ont vu les « Vrais Finnois », un parti populiste eurosceptique et xénophobe, remporter 18 % des voix. C’est un cas d’école, montrant à quel point la nature des droites radicales a changé : comme l’Union démocratique du centre (UDC) suisse, le Parti de la liberté du néerlandais Geert Wilders ou le Parti du peuple danois, cette formation finlandaise est hostile au multiculturalisme et à l’immigration, opposée au principe même d’une Europe supranationale, se donnant comme une alternative globale aux élites et aux partis traditionnels. Comme Wilders ou le Parti du progrès en Norvège, les Vrais Finnois sont favorables à l’intervention de l’état dans l’économie et le social, ce qu’on retrouve dans le nouveau cours imprimé au Front national (FN) par Marine Le Pen. La diversité est plus grande sur les questions dites « de société » : les Vrais Finnois sont ultraconservateurs alors que Geert Wilders, comme naguère Pim Fortuyn, concentre ses attaques sur l’islam au nom de valeurs traditionnellement associées aux combats de la gauche : liberté des moeurs ; égalité des sexes ; laïcité. Les raisons de ces succès électoraux sont différentes selon les pays et les contextes politiques. Cependant des éléments communs sont identifiables : le rejet d’une société devenue, dans les faits, plurireligieuse et pluriculturelle ; le sentiment que les élites sont coupées de l’électorat ; la crainte des bouleversements induits par la mondialisation et d’un monde devenu moins « lisible » avec la fin des grandes idéologies mobilisatrices ou la fin de la division Est-Ouest. Le Front national, qui fut longtemps le modèle de nombreux partis d’extrême droite en Europe, semble aujourd’hui piocher sa stratégie chez d’autres organisations. Pourriez-vous nous en dire plus ? Le FN dirigé par Marine Le Pen a compris qu’il devait abandonner toute alliance avec des formations d’extrême droite qui présentent un caractère de repoussoir. Son problème est de trouver des alliés qui acceptent de s’afficher avec lui. L’inflexion anti-islam du discours mariniste pousserait au rapprochement avec Wilders et l’UDC, mais ces deux partis gardent leurs distances avec Le Pen. L’attitude de la Ligue du Nord est ambiguë : Marine Le Pen est allée à Lampedusa en compagnie d’un de ses eurodéputés, Mario Borghezio, mais c’est un ministre de l’Intérieur leghiste, Roberto Maroni, qui a délivré les permis de séjour aux immigrés tunisiens cherchant à gagner la France depuis Vintimille. Quant au parti de Gianfranco Fini, il s’est prononcé clairement contre Marine Le Pen. Le FN me semble donc avoir regardé ce qui se passe en Suisse ou en Hollande sans pour autant tenter de reproduire un modèle. Il est en effet confronté à une nécessité qui ne s’impose ni à Wilders ni à Blocher : donner l’impression de rompre avec une filiation intellectuelle qui est proprement d’extrême droite.
Quelle est l’activité du Front national au Parlement européen ? Avec qui ? Cette activité est quasi nulle, l’Alliance européenne des mouvements nationaux, dirigée par Bruno Gollnisch, étant en sommeil. Siégeant comme non-inscrits, les députés du FN, du Vlaams Belang ou du BNP britannique sont marginalisés. Au sein du groupe « Europe de la Liberté et de la démocratie » se retrouvent en revanche Philippe de Villiers, la Ligue du Nord, les Vrais Finnois, le LAOS grec, le Parti danois du peuple, les ultranationalistes slovaques et les eurosceptiques anglais de UKIP. Le centre de gravité de la droite « dure » est là. Le FN et le Jobbik hongrois sont alliés au sein de l’Alliance européenne des mouvements nationaux. Cette proximité n’est-elle pas contradictoire avec la « dédiabolisation » souhaitée par Marine Le Pen ? Avec 17 % des voix, Jobbik est une force politique importante qui, effectivement, ne correspond pas au profil des formations avec lesquelles Marine Le Pen veut s’allier. En particulier, on signalera son antisémitisme assumé, son racisme anti Roms fait de violences physiques à répétition, sa curieuse fascination pour les racines de l’identité nationale dans le pantouranisme1, autrement dit dans une idéologie proche de l’ethnicisme nationaliste turc. 1. Courant idéologique politique prônant l’union de tous les peuples touraniens, c’est-à-dire descendant des tribus turcophones d’Asie centrale.