Les récentes élections au Brésil et aux États-Unis ont suscité de grandes inquiétudes. Le candidat d’extrême droite Bolsonaro allait-il être réélu ? Le raz-de-marée trumpiste annoncé allait-il se produire ? Dans un cas comme dans l’autre, la réponse a été négative. Mais il serait plus qu’hasardeux de penser que, face aux extrêmes droites, la partie serait en train d’être gagnée.
Après les élections au Brésil et aux États-Unis, nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui, en premier lieu dans les pays concernés, ont poussé un « ouf » de soulagement. Et on les comprend. Mais malheureusement on aurait tort de croire que les résultats électoraux de Trump et de Bolsonaro sont une défaite cinglante pour les deux dirigeants d’extrême droite : au Brésil comme aux États-Unis, les récentes élections ont confirmé la profondeur de l’implantation des nationalistes ultra-réactionnaires, et les deux pays ne font pas figure d’exceptions à l’échelle internationale.
Les « portes du pouvoir » ont été franchies
Durant les dernières décennies, nous avons souvent répété, au fur et à mesure des épisodes électoraux, que l’extrême droite était « aux portes du pouvoir ». La formule était pertinente, mais elle est aujourd’hui datée. Car dans de nombreux pays, les extrêmes droites ont franchi les portes du pouvoir, et gouvernent. Ainsi, dans l’Union européenne, elles sont désormais à la tête des gouvernements italien, hongrois et polonais, participent aux exécutifs letton et slovaque et apporte leur soutien au gouvernement en Suède.
Pour mesurer le chemin parcouru en une vingtaine d’années, on peut se souvenir de l’année 2000. À la fin du mois de janvier, suite aux élections législatives autrichiennes, l’entrée au gouvernement du parti d’extrême droite FPÖ, dirigé à l’époque par Jörg Haider, est confirmée. Des manifestations ont lieu aux quatre coins de l’Europe, et les dirigeants de l’UE s’indignent, sous la pression des « opinions publiques ». Des sanctions sont même prises contre l’Autriche par les quatorze autres États membres, dont la suspension des rencontres officielles bilatérales au niveau politique. Sanctions symboliques, qui seront levées quelques mois plus tard, mais qui témoignent néanmoins d’un certain « esprit du temps »… aujourd’hui révolu.
Un phénomène qui vient de loin
Au-delà de l’UE et des États-Unis, nombreux sont les pays, et pas des moindres, qui sont aujourd’hui dirigés par tel ou tel variante de l’extrême droite : de l’Inde de Modi à la Turquie d’Erdogan en passant par l’État d’Israël et, bien évidemment, la Russie de Poutine, les courants ultra-nationalistes réactionnaires, voire fascisants, ont le vent en poupe. Une situation qui ne doit rien au hasard, et qui s’inscrit dans une évolution globale de la gouvernance politique d’un système capitaliste confronté à une multiplicité de crises, économique, environnementale, sociale et démocratique, avec au total une véritable crise d’hégémonie et un épuisement des formes bourgeoises « classiques » d’exercice du pouvoir.
Un phénomène que synthétise Ugo Palheta dans son dernier ouvrage : « Crise de la représentation politique, au sens où la plupart des partis politiques qui ont engagé la grande destruction néolibérale ont perdu une part considérable de leur légitimité et de leur base sociale, voire ont complètement sombré ; crise de croyance dans les institutions politiques, marquée par des taux d’abstention partout croissants ; crise de l’ensemble des médiations entre les classes dominantes et le reste de la population […] ; mais crise également du projet porté par ces classes depuis la fin des années 1970, à savoir le projet néolibéral. […] C’est en ce point précis que le néofascisme entre en scène, comme force politique appelée à prendre le relais du néolibéralisme d’un point de vue hégémonique. »1
Résister, lutter, rendre l’espoir
Nous savons que rien n’est jamais écrit, et que l’ascension des extrêmes droites et des courants néofascistes n’est pas irrésistible. Il n’est peut-être pas encore « minuit dans le siècle », selon la formule du révolutionnaire Victor Serge, mais il est plus que jamais temps de prendre la mesure du cours général des événements, qui est la promesse de toujours plus de violences, de répression, de racisme, d’oppression des femmes et des minorités de genre, mais aussi de guerres et d’exploitation.
Face à ces phénomènes, il est de la responsabilité des courants anticapitalistes et, au-delà, de toutes les forces progressistes, de ne pas céder un pouce, sur le terrain des idées et sur le terrain tout court, aux formations d’extrême droite. La lutte contre le racisme, le sexisme, le validisme et les LGBTIphobies, tout comme l’internationalisme et la solidarité internationale, font partie des urgences de l’heure. De même que l’opposition résolue à toutes les régressions sociales et environnementales annoncées par les gouvernements libéraux-autoritaires, à l’image de celui de Macron. Pour ce faire, il s’agit de construire, dans l’unité la plus large, des cadres de solidarité, de mobilisation, de lutte, avec pour objectif d’obtenir les victoires collectives, mêmes partielles, qui redonneront confiance à notre camp social et feront reculer le fatalisme et la résignation. Il est aussi plus que jamais nécessaire de bâtir les outils politiques faisant vivre la perspective d’un autre monde, débarrassé des oppressions et de l’exploitation, et de la rendre crédible, afin de redonner envie et espoir, seuls antidotes face au pire qui, s’il n’est jamais certain, a désormais largement dépassé le statut de simple hypothèse.
- 1. Ugo Palheta, La nouvelle internationale fasciste, éditions Textuel.