Le FN n’a, à l’évidence, jamais été un parti révolutionnaire ni même un parti « anti-système ». La famille Le Pen appartient à l’élite financière, et dès les premiers succès électoraux, de nombreux cadres et dirigeants sortaient des « grandes écoles » d’élites (hier Bruno Mégret, aujourd’hui Florian Philippot…). Néanmoins ses relations avec le grand patronat, surtout avec sa partie organisée, ont rarement été au beau fixe.
Ce qui lui était reproché n’était évidemment pas d’être anticapitaliste, de faire partie des « affreux partageux », la doctrine du parti d’extrême droite disant au contraire qu’il n’y aura jamais assez à partager pour tout le monde (d’où l’exclusion des étrangers et des mauvais Français du partage du gâteau). Mais il lui était aussi reproché de pratiquer une sorte de « primat du politique », mettant ses propres critères – ceux du prétendu intérêt d’une « communauté nationale » fantasmée – et sa recherche d’une base dans les classes populaires au-dessus des purs critères d’« efficacité économique » au sens où l’entend le patronat.
Patronat d’hier et d’aujourd’hui
Le grand capital organisé, surtout celui qui fait des affaires à une échelle dépassant les frontières nationales, pince quelque peu le nez à l’écoute des thèses protectionnistes en matière de commerce international prônées par Marine Le Pen ou Florian Philippot. Certes, tout le monde au sein du FN n’est pas exactement sur la même ligne : ainsi, Robert Ménard (maire soutenu par le FN mais qui n’en est pas membre) ou la députée Marion-Maréchal Le Pen affirment des positions plus libérales en économie.
Sous la présidence de Laurence Parisot (présidente du Medef entre 2005 et 2013), il n’était pas question pour l’organisation patronale de pactiser politiquement avec ce parti. Parisot s’était même fendue en 2011 d’un livre titré Un piège bleu Marine pour y dire tout le mal qu’elle pensait du pseudo-programme économique du FN, qu’elle considérait comme irresponsable et démagogique.
Les temps ont changé, dans la mesure où son successeur à la tête du Medef, Pierre Gattaz, semble avoir rompu avec la rupture... Lundi 16 janvier lors d’une réunion du Conseil exécutif du Medef, la direction de l’organisation patronale a ainsi décidé d’inviter le FN à présenter ses thèses économiques devant ses principales fédérations. Une prise de position qui aurait provoqué des « remous » à l’intérieur du syndicat des patrons, rapportent les journaux libéraux et de droite l’Opinion et le Figaro. La date de la rencontre devrait tomber fin février début mars.
Libéralisation de la parole...
Il ne s’agit visiblement pas de se faire des mamours, et les poids-lourds du Medef voudront avant tout faire pression sur le FN, à l’instar du traitement qu’ils réservent à d’autres partis candidats au pouvoir. Toujours est-il que cette nouvelle ligne de conduite se situe en rupture avec celle qui prévalait du temps de Laurence Parisot.
Au sein du FN, cela a même poussé l’économiste libéral et eurodéputé Bernard Monot à entonner publiquement une mélodie fortement pro-patronale : « Je rappelle que nous sommes de vrais libéraux, partisans sans ambiguïtés de l’économie de marché et de la libre entreprise. J’espère que cette rencontre sera l’occasion de rassurer les chefs d’entreprise »... Toujours est-il que cette tonalité, qui correspond aux positions libérales en matière économique que Monot a toujours défendues, ne fait pas l’unanimité à l’intérieur du FN, ne serait-ce que pour des raisons de tactique électorale vis-à-vis des classes populaires.
Marine Le Pen elle-même ajoute cependant une louche dans ce sens, en répondant par la négative à une question portant sur une augmentation du SMIC (mercredi 25 janvier sur Europe 1) : « Cela entraînerait une charge supplémentaire pour les entreprises, qui sont déjà dans une très grande fragilité dans notre pays. » Et la patronne du FN de poursuivre son propos en promettant qu’une mesure protectionniste, à savoir la création d’une « contribution sociale à l’importation » (une taxe de 3 % sur les produits importés) permettrait de résoudre le problème du pouvoir d’achat puisqu’elle serait transformée en prime salariale.
Le protectionnisme, ça Trump énormément !
Plus que jamais, le protectionnisme est considéré comme la solution miracle par certains dirigeants du FN, à l’instar de Wallerand de Saint-Just. Tous espèrent qu’un hypothétique boum de certaines branches de l’économie nord-américaine sous la présidence de Donald Trump – qui pratique un protectionnisme affiché, combiné avec des promesses de dérégulation de l’économie en interne ainsi que des détaxations – crédibilise les positions du FN au sein du patronat.
Bien que l’équipe Trump ne réponde pour le moment pas favorablement aux appels du pied du FN français (lors de son déplacement à la Trump Tower de New York le 12 janvier dernier, aucun dirigeant étatsunien n’avait souhaité recevoir Marine Le Pen), le FN lui-même continue à se réclamer de Trump et de ses recettes. Il continuera à le faire, sauf si l’expérience aux USA devait mal tourner…
Bertold du Ryon