Éclipsée par la grève des cheminotEs et le Mondial de football, la tragicomédie au sein du F Haine, initiée par les propos racistes et antisémites tenus récemment par Jean-Marie Le Pen, continue d’agiter le landerneau de l’extrême droite. Elle nous invite à réfléchir sur les motivations politiques qui ont amené ses protagonistes à la mettre en scène, et à nous interroger une nouvelle fois sur les ruptures stratégiques que certainEs prétendent voir au sein du parti.
Feintes ou sincères, les réactions d’indignation de Jean-Marie Le Pen à l’annonce faite par sa fille de l’éviction de son « journal de bord » vidéo du site national du parti, témoignent d’un embarras grandissant de l’appareil frontiste à gérer la cohérence de deux discours qui paraissent de prime abord contradictoires. Galvanisés par les très bons résultats électoraux aux élections européennes, les cadres du parti ne peuvent envisager de construire le puissant appareil dont ils ont besoin qu’en poursuivant la ligne tracée par Marine Le Pen, ligne qui sera sans doute peaufinée lors du prochain congrès en novembre à Lyon.
Nouvelle image, vieux fondLa question devient alors urgente : comment se démarquer des propos provocateurs du – toujours – Président d’honneur, tout en continuant de construire pierre par pierre la nouvelle image du parti ? Comment intégrer le corpus doctrinal fondateur, fait d’antisémitisme, de racisme, de nationalisme et d’anti-parlementarisme, tout en prétendant accéder à la gestion du pays par des voies démocratiques ? Si aujourd’hui cette option semble s’imposer aux dirigeants du FN, qu’adviendrait-il à l’occasion d’un très probable approfondissement de la crise institutionnelle ? Le discours de Marion Maréchal-Le Pen, très proche politiquement de son grand-père, tenu à l’Assemblée Nationale à l’époque des « manifs pour tous » affirmait que le débat ne se situait pas au sein d’une assemblée où son parti était injustement sous-représenté mais dans la rue : c’est un début de réponse. « L’asile politique » du « journal de bord » de Jean-Marie Le Pen, accordé généreusement par Alain Soral sur le site de son groupe, « Égalité et réconciliation », en est un autre. Rappelons qu’Alain Soral est un ancien membre de la direction du FN, et qu’il se définit aujourd’hui comme un « national socialiste » à la française...
L’hommage du vice à la vertu...Ne soyons pas dupes, Marine Le Pen n’effectue pas plus un « virage à gauche » que son géniteur un « virage à droite ». C’est avec une certaine truculence d’ailleurs que Jean-Marie Le Pen dans sa lettre ouverte à « Madame le Président du Front National », rappelle à sa fille certaines vérités qu’elle préférerait mettre en sourdine temporairement : « vous-même, n’avez-vous pas été mise en cause par votre déclaration sur "l’occupation des rues par des fidèles musulmans" ou encore par votre présence à Vienne, à un bal réputé "nazi" par nos ennemis ? » Mais, bon sang ne saurait mentir, Jean-Marie Le Pen ne doute pas un seul instant de la fidélité idéologique de sa fille, qui ne lui fait le reproche que d’avoir dit tout haut ce qu’elle-même pensait tout bas : « Vous me faites grief de n’avoir pas anticipé les éventuelles attaques dont je pouvais être l’objet, autrement dit de ne m’être pas appliqué une censure préalable volontaire comme dans les pays totalitaires. »
Le mouvement ouvrier et progressiste doit réagirEn pleine phase de construction, le Front national n’a d’autre choix que de s’adapter aux nouvelles couches de la société sur lesquelles il s’active actuellement à tenter de gagner l’hégémonie politique et culturelle. L’absence sidérale de tout projet politique crédible à gauche, la démoralisation engendrée par la politique ultralibérale du gouvernement PS-Medef lui laisse le champ libre pour distiller avec habileté son idéologie réactionnaire. L’exemple le plus récent est son opposition à la « réforme » de la SNCF à laquelle il prétend s’opposer, sans bien sûr soutenir les grévistes tout en les comprenant, et en dénonçant les directions syndicales complices du gouvernement... Cette supercherie a de beaux jours devant elle si l’ensemble du mouvement ouvrier et du camp progressiste ne prend pas la mesure du danger qui guette. Les assises de la CONEX (Coordination nationale contre l’extrême droite) se tiennent les 28 et 29 juin à Paris et doivent être un moment pour entamer le débat et jeter les bases de grandes mobilisations populaires seules susceptibles de faire reculer ce fléau. Le congrès du Front national à Lyon en novembre pourrait constituer une échéance de mobilisation...
Alain Pojolat