On en parle partout, et tout le monde en parle : le terme « islamo-gauchiste » a de nouveau envahi les écrans des chaînes d’info, les ondes des radios, les sites internet et les colonnes des journaux. Ceux qui l’emploient le manient comme une injure suprême et ne manquent pas de le faire avec arrogance, mais force est de constater qu’ils seraient bien en peine, si toutefois les journalistes leur posaient la question, de le définir.
Bien malin serait en effet celui qui pourrait donner un contenu précis à ce « concept », popularisé au début des années 2000 par Pierre-André Taguieff, qui s’en prenait alors aux mouvements altermondialiste et antiguerre. Des organisations musulmanes et des courants de gauche et d’extrême gauche, qui avaient pu se retrouver ensemble sur des tribunes ou dans des manifestations car ils partageaient des combats communs, se sont ainsi vu attribuer, malgré elles, une idéologie unique, dont on ne connaît ni les contours ni le contenu – et pour cause.
C’est précisément l’une des forces de ce « concept » pourtant creux : comme l’a expliqué le chercheur Samuel Hayat, « c’est justement parce que ce terme ne cesse de perdre en précision qu’il gagne en efficacité ». Plus qu’à un outil d’analyse ou même de description du réel, on fait en effet face, avec « l’islamo-gauchisme », à une arme de disqualification massive, désormais utilisée contre toutes celles et tous ceux qui, à gauche, refusent le consensus raciste ambiant et « osent » revendiquer leur opposition à l’islamophobie.
Ironie tragique de l’histoire, les promoteurs du terme « islamo-gauchisme » ne semblent pas se rendre compte qu’il est construit exactement de la même façon que le « judéo-bolchévisme » du début du 20e siècle, synthèse symbolique de l’antisémitisme et de l’anticommunisme brandie dans un premier temps par la réaction tsariste en Russie avant de faire son chemin en Europe occidentale, entre autres et notamment du côté de l’Allemagne nazie. À chacun ses filiations…
Les concepts creux sont parmi les plus difficiles à récuser dans la mesure où ils ne reposent sur aucune argumentation rationnelle et ne peuvent donc être rationnellement déconstruits. La meilleure réponse à apporter n’est pas de se défendre, mais de contre-attaquer et de faire encore un peu plus peur aux réactionnaires, avec une riposte commune unissant organisations syndicales et politiques, associations antiracistes et collectifs musulmans, pour combattre l’islamophobie, d’où qu’elle vienne, des sommets de l’État ou de l’extrême droite la plus rance.