« Moi, je ne suis pas de la droite conservatrice. Les débats identitaires sont nauséabonds. Le religieux hystérise notre vie politique. Notre identité, c'est la République, point. » Ainsi s’exprimait, en janvier 2016, un certain Gérald Darmanin, justifiant alors sa décision de quitter la direction nationale des Républicains. Celles et ceux qui ont entendu le désormais ministre de l’Intérieur s’exprimer hier soir sur BFM-TV peuvent donc être rassurés : rien de « nauséabond » et aucune « hystérisation » lorsque Darmanin, moins d’une semaine après la décapitation d’un enseignant à proximité de son collège de Conflans-Sainte-Honorine, juge bon de s’en prendre à la « cuisine communautaire », de dénoncer les « associations communautaristes » (sans jamais définir ce qu’il entendait par là) et d’accuser Edwy Plenel et Mediapart de « lâcheté intellectuelle ».
Le jambon de dinde mène-t-il au jihadisme ?
La « sortie » de Darmanin sur les supermarchés mérite d’être citée in extenso, même si elle a déjà beaucoup circulé sur les réseaux sociaux : « Moi ça m’a toujours choqué de rentrer dans un hypermarché et de voir un rayon de telle cuisine communautaire et de telle autre à côté. C’est comme ça que ça commence le communautarisme. » Comprendre, au vu du contexte de l’interview : le rayon halal, c’est le début du communautarisme, qui est lui-même l’antichambre du terrorisme jihadiste. On aurait envie de sourire si le contexte n’était pas aussi tragique et si l’on n’assistait pas, depuis vendredi dernier, à un déversement de haine islamophobe d’une rare intensité et d’une violence inouïe.
En roue libre, le ministre de l’Intérieur poursuit donc sur sa lancée, lui qui, omniprésent dans les médias, a tenu ces derniers jours nombre de propos qui n’ont rien à envier aux abjections de l’extrême droite. Et au-delà des mots, ses premières décisions prises par le ministre de l’Intérieur vont elles aussi dans le sens d’une radicalisation islamophobe : proposition de dissolution d’associations comme le CCCIF, perquisition dans des mosquées et chez des imams qui, de l’aveu de Darmanin lui-même, ne sont « pas forcément en lien avec l’enquête » mais à qui il s’agit de « faire passer un message », etc. Hier soir sur BFM-TV, Darmanin a d’ailleurs expliqué que « le rôle de la police est d’intimider ceux qui veulent nous intimider. » Tout simplement.
« Avec nous, ou avec les terroristes »
Darmanin s’en est également pris nommément à Sud-Éducation, puis à Edwy Plenel et à Mediapart, accusés de « lâcheté intellectuelle » : « Ils sont aussi "responsables" de cette ambiance, de cette température qui permet à des individus de passer à l'acte en excusant tout. » Comprendre, au vu du contexte : Edwy Plenel, et quelques autres, sont objectivement complices des jihadistes. Un « argument » pas si nouveau, mais qui, balancé à une heure de grande écoute par le ministre de l’Intérieur, lequel avait par ailleurs, il y a quelques jours, traité les députés LFI d’« islamo-gauchistes », fait immanquablement penser à la vision du monde de George W. Bush : « Avec nous, ou avec les terroristes ».
Loin d’aller à l’encontre du déchaînement de haine islamophobe auquel nous assistons depuis vendredi dernier, Darmanin, à l’instar de ses amis du gouvernement, y contribue, en pratiquant l’amalgame entre musulmanEs, intégristes et terroristes, et en menant une offensive plus globale contre toutes celles et tous ceux qui refuseraient d’entrer dans leur moule « républicain », au risque de renforcer les fractures sur lesquelles prospèrent les fauteurs de haine et les idéologies ultra-réactionnaires, et donc de favoriser les attentats et autres violences de demain. Face à ces apprentis sorciers, notre émotion et notre colère devront s’accompagner d’une exigence de plus de solidarités, d’égalité et de justice sociale, ainsi que d’un refus de tous les amalgames.