Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, les plus hautes autorités de l’État ont invité l’extrême-droite à participer à une « marche républicaine ». Plus incroyable encore, ce blanc-seing donné aux héritiers de Pétain s’est fait sur le terrain de l’antisémitisme, autrement dit sur la question même qui les avait jusque-là rendus infréquentables.
La marche du 12 novembre a constitué un succès politique inespéré pour Marine Le Pen, qui a fait de la « dédiabolisation » le cœur de sa stratégie politique. Celle-ci consiste à mettre en veilleuse l’antisémitisme traditionnel de son parti, afin de recentrer son discours sur l’islamophobie et la xénophobie, autrement dit sur un racisme qui peut sembler d’autant plus acceptable qu’il est quotidiennement relayé par les partis traditionnels.
La politique de « dédiabolisation » du RN a été validée
La « dédiabolisation » du RN n’a pas été une sinécure. Marine Le Pen a tout d’abord ouvert un espace à sa droite, dans lequel s’est engouffré Zemmour en faisant l’apologie de la politique juive de Pétain, afin de capter les orphelins des saillies antisémites de Jean-Marie Le Pen. La direction du RN s’est aussi trouvée incapable d’empêcher les dérapages répétés de ses militants, dont l’antisémitisme est une part constitutive de leur identité politique. Son discours est ainsi apparu comme peu crédible et les autorités du judaïsme français ont continué à considérer le RN comme une organisation antisémite. Ses déclarations d’amour à Israël n’ont pas eu beaucoup plus de succès : si le gouvernement Netanyahou a ouvert quelques ponts avec des cadres du RN, il s’est toujours refusé à recevoir Marine Le Pen à Jérusalem.
Tout cela a volé en éclats le 7 octobre. Affichant un soutien inconditionnel à Israël, Le Pen s’est posée en égérie de la lutte contre l’antisémitisme, en affirmant qu’il constituait la conséquence de l’islamisme que le soi-disant laxisme des politiques migratoires de la France aurait encouragé. Avec ce discours, le RN s’est retrouvé sur la même ligne que le gouvernement, qui s’est trouvé empêtré dans une position de soutien inconditionnel à Israël, après s’être avancé sur le terrain de Le Pen, en lançant à la rentrée une nouvelle campagne islamophobe sur l’abaya pour poursuivre par une nouvelle loi xénophobe contre l’immigration.
Le PS a ouvert la voie
Pour passer de la convergence politique à une manifestation commune, il fallait toutefois un déclencheur et celui-ci est venu du PS, lorsque le 5 novembre, Olivier Faure a proposé à toutes les forces politiques, RN compris, une grande marche contre l’antisémitisme. Bien que le PS ait aussitôt cherché à rétropédaler, la voie était ouverte : Braun-Pivet et Larcher s’y sont engouffrés le 7 novembre, en appelant à une marche contre l’antisémitisme, dont seule la FI se trouvait en fait exclue. Soucieux d’isoler Mélenchon, EELV, le PS et le PC sont tombés dans le piège : alors qu’ils avaient refusé quelques jours avant de participer aux manifestations de solidarité avec la Palestine, au motif qu’elles ne se démarquaient pas assez du Hamas, ils ont appelé, pour la première fois de leur histoire, à défiler dans une manifestation commune avec Marine Le Pen, mais aussi avec Zemmour et Marion Maréchal, qui n’ont pas manqué de s’inviter à une table si généreusement ouverte.
La dynamique était telle que tous ceux qui ont participé à la manifestation en tentant d’en expulser l’extrême droite, se sont heurtés à un échec. Tel a été le cas du collectif Golem, qui a tenté d’impulser une manifestation dans la manifestation, en exigeant que l’extrême droite en parte, et se sont trouvés isolés par un cordon policier. Tel a aussi été le cas de ce manifestant qui a interpellé Le Pen, avant d’être aussitôt pris à partie par les sbires de la LDJ, une organisation d’extrême droite sioniste qui avait décidé d’assurer la sécurité du RN.
L’ancienne droite « républicaine » a perdu sa raison d’exister
Bien que la marche du 12 novembre n’ait finalement pas rencontré un grand succès populaire, ne rassemblant dans toute la France que 182 000 manifestants, elle n’en a pas moins redessiné le champ politique. Effectué les 9 et 10 novembre, dans le contexte de la mise en place de la marche, un sondage IPSOS pour les Européennes situait le RN à 29 %, tandis qu’il ne créditait LR que de 6 %. La droite constitue ainsi la principale victime de ce jeu de dupes : dès lors que le RN est devenu un parti fréquentable, l’électeur traditionnel de la droite n’a plus aucune raison de préférer Wauquiez à une Marine Le Pen, désormais dédiabolisée.
La « marche contre l’antisémitisme » a ainsi donné au RN une nouvelle crédibilité. Disposant d’un potentiel électoral de 30 %, il peut aussi compter sur les réserves électorales de Zemmour, mais aussi de la droite qui a désormais perdu le monopole de l’étiquette « républicaine », autrement dit la seule raison qui lui permettait encore d’exister. Après l’heureuse surprise du 12 novembre, le RN se trouve désormais aux portes du pouvoir et ne pourra être arrêté qu’en faisant obstacle à la dynamique mortifère du choc des civilisations, qui permet aux populistes de surfer sur la vague islamophobe qu’il induit.