« Quand vos députés refusent d’appeler au calme, vous sortez du champ républicain ! ». C’est en ces termes que la Première ministre Élisabeth Borne s’est adressée, le 4 juillet, à Mathilde Panot, présidente du groupe des députéEs LFI à l’Assemblée nationale. En cause, les positions de la FI sur les révoltes consécutives au meurtre du jeune Nahel, et le refus des représentantEs « insoumis » de se laisser enfermer dans le piège des « appels au calme » et de la « condamnation des violences ».
«Champ républicain », « arc républicain » : ces deniers jours, la « république » est servie à toutes les sauces par les petits soldats de la macronie, dans le but de tracer une ligne de démarcation entre ceux qui en seraient et ceux qui n’en seraient pas. Comprendre : l’ordre contre le désordre, le respect des institutions contre la chienlit, la police contre les émeutiers, la loi contre le chaos.
Leur « république », on n’en veut pas
Cela va mieux en le disant : le NPA et son candidat Philippe Poutou ont eu l’occasion, par le passé, de subir le même genre d’invectives, et nous nous en sommes remis sans problème. Car leur « république » raciste, antisociale, violente, n’est pas la nôtre. Nous ne souhaitons nullement faire partie de leur « champ républicain » et nous recevons comme un honneur de telles marques d’excommunication.
A fortiori lorsque, comme c’est le cas actuellement, on constate que, alors que la dénonciation des violences policières et du racisme systémique semble, au même titre que la défense du droit à la révolte, entraîner une exclusion du « champ républicain », il n’en va pas de même des outrances racistes du patron des sénateurs LR Bruno Retailleau (« régression vers les origines ethniques ») ou des positions des syndicats de flics Alliance et UNSA (« hordes sauvages », « nuisibles »).
Un bien bel « arc républicain » donc, dans lequel un Jordan Bardella, dont les « bons mots » à propos de la FI rebaptisée « la France incendiaire » sont repris par Aurore Bergé, se sent visiblement comme un poisson dans l’eau, faisant siennes les déclarations de Borne en allant — forcément — un peu plus loin : « Ils sont non seulement sortis du champ républicain, mais ils sont entrés dans le champ de tout ce qui combat la France. Ils sont entrés dans le champ des délinquants, des criminels, des émeutiers, des trafiquants de drogue, des communautaristes ».
À front « républicain » renversé
Face à ces accusations, les représentantEs de la FI se défendent et se posent en garantEs de l’héritage républicain. Grand bien leur fasse, même si nous résistons difficilement à l’envie de leur lancer un « Bienvenue hors du champ républicain, camarades ! »
L’heure n’est malheureusement pas à l’ironie car ce qui se joue actuellement est en réalité une nouvelle étape de la reconfiguration du champ politique à l’œuvre depuis plusieurs années, avec la constitution d’un « front républicain renversé » que nous dénoncions déjà il y a deux ans lors des débats sur la loi « séparatisme » : « On est passé en 20 ans du "front républicain" contre Le Pen (père) lors de la présidentielle de 2002 à un "front républicain" avec Le Pen (fille) contre les "séparatistes", "racialistes", "islamo-gauchistes" et autres ennemiEs de leur "république" raciste, autoritaire et antisociale. »1
Une dangereuse reconfiguration dont l’extrême droite est la principale bénéficiaire, et qui l’installe encore un peu plus comme un courant pouvant prétendre « normalement » à l’exercice du pouvoir. Il y a urgence à faire front pour résister, construire les solidarités et faire vivre la perspective d’un autre monde possible.
- 1. « De Macron à l’extrême droite : un nouveau "front républicain" ? », l’Anticapitaliste n° 562, 1er avril 2021.