Le jeudi 25 mars, une dizaine de nervis de l’Action française pénétraient en force dans le Conseil régional d’Occitanie, brandissant une banderole contre les « islamo-gauchistes », qualifiés de « traîtres à la France ». Rien d’étonnant, malheureusement, à ce que les fascistes, dans un contexte de campagne permanente contre les antiracistes nourrie d’une islamophobie de plus en plus « décomplexée », se sentent pousser des ailes, tant leurs thèses et leur vocabulaire sont repris sur le champ politique dit « républicain », jusqu’aux plus hauts sommets de l’État. Jusqu’à la constitution d’un nouveau — et monstrueux — « front républicain » allant de Macron à l’extrême droite ?
L’UNEF ? « Racialiste ». Europe Écologie les Verts ? « Complices des islamistes ». Le Comité Adama ? « Séparatiste ». Audrey Pulvar ? « Raciste ». Sud-Éducation ? « La lutte des races en salle des profs ». Marwan Muhammad ? « Islamiste ». La liste des accusations portées contre diverses organisations et personnalités au cours des derniers jours n’est malheureusement pas exhaustive, et confirme ce que nous avons répété au cours des derniers mois : l’examen du projet de loi « séparatisme » et les discours islamophobes qui l’accompagnent ont ouvert encore un peu plus grand les vannes de la stigmatisation des musulmanEs et de l’ensemble de celles et ceux qui, quand bien même ils et elles ne seraient pas très radicaux, refusent l’hystérie raciste ambiante.
Un spectre qui s’élargit
À coups de campagnes ciblées, souvent lancées par le gouvernement lui-même, sur lesquelles la droite et l’extrême droite se font un plaisir de surenchérir, à grands renforts d’amalgames, de calomnies et de mensonges, c’est à un véritable déferlement que l’on assiste, qui ne semble devoir épargner personne — du moins du côté de celles et ceux qui n’ont pas complètement renoncé. Nous le disions à propos de la « polémique » sur l’« islamo-gauchisme » : le terme n’est pas un outil d’analyse ou de description du réel, mais une arme de disqualification massive au contenu suffisamment flou pour pouvoir englober toutes celles et tous ceux qui refusent le consensus raciste ambiant et/ou « osent » revendiquer leur opposition à l’islamophobie.
De semaine en semaine, le spectre des « islamo-gauchistes » et autres « séparatistes » semble ainsi s’élargir inexorablement. Celles et ceux qui se sont tus lors de la dissolution du CCIF et qui ont refusé de participer aux mobilisations contre la loi « séparatisme » en sont pour leurs frais : nombre d’entre eux sont aujourd’hui désormais, à leur tour, dans le viseur, y compris du côté du PS et du PCF, qui ne manquent pourtant pas de rappeler à chacune de leurs apparitions médiatiques qu’ils n’ont rien à voir avec toute cette histoire et sont profondément attachés aux « valeurs républicaines » et à l’« universalisme ». Des termes qui sonnent aussi creux dans leur bouche que leurs silences ont été assourdissants lors des précédentes étapes de la chasse aux sorcières, quand ils n’y ont pas directement participé.
À front renversé
On le sait, la Macronie est en campagne pour 2022 et a décidé de se placer dans un tête-à-tête avec le Rassemblement national. Pour ce faire, députés et ministres LREM n’hésitent pas à reprendre à leur compte les thématiques de l’extrême droite, quitte à dénoncer, comme Gérald Darmanin, la « mollesse » de Marine Le Pen. Et c’est ainsi que se produit une reconfiguration du débat public et du champ politique, dont on mesure chaque jour la dangerosité, par laquelle une nouvelle forme de « front républicain » semble se constituer. Un front renversé, pourrait-on dire, puisque l’on est passé en 20 ans du « front républicain » contre Le Pen (père) lors de la présidentielle de 2002 à un « front républicain » avec Le Pen (fille) contre les « séparatistes », « racialistes », « islamo-gauchistes » et autres ennemiEs de leur « république » raciste, autoritaire et antisociale.
Difficile ainsi, ces derniers jours, de faire la distinction entre les déclarations de LREM, des Républicains et du RN concernant les études post-coloniales, l’UNEF ou la mairie EÉLV de Strasbourg. L’Action française peut quant à elle tranquillement reprendre à son compte les propos de la ministre Frédérique Vidal sur l’« islamo-gauchisme » pour justifier son intrusion au Conseil régional d’Occitanie, à propos de laquelle le gouvernement ne s’est guère insurgé — on n’ose imaginer ce qui se serait passé si cette action avait été menée par un groupe antiraciste, une association musulmane ou un collectif étiqueté comme « gauchiste »…
Face à cette dangereuse reconfiguration, dont l’extrême droite est en réalité la principale bénéficiaire, il n’est certes pas trop tard, mais il y a urgence : à ne rien céder face à la déferlante en cours, à construire les nécessaires digues avec toutes celles et tous ceux qui ne se résignent pas face à la perspective du pire, à faire vivre les solidarités et la perspective d’un autre monde face au désastre en cours.