Durant son discours tenu à l’occasion de l’hommage aux quatre policiers assassinés à la préfecture de Paris, Macron en a appelé au développement d’une « société de vigilance » afin de « faire bloc » face au « terrorisme islamiste ». Message reçu cinq sur cinq par les racistes de tout ordre, et coup d’envoi d’une séquence islamophobe qui marque le franchissement d’un nouveau cap et qui impose une réaction d’ampleur.
Entendu par une commission de l’Assemblée nationale cinq jours après la tuerie de la préfecture, Christophe Castaner a précisé la philosophie de la « société de vigilance » prônée par Macron, qui repose notamment sur la « détection » et le « signalement » de certaines attitudes et pratiques. Et le ministre de l’Intérieur de donner des exemples : « Parmi les signes qui doivent être relevés, un changement de comportement, comme le port de la barbe, la pratique régulière et ostentatoire de la prière rituelle, une pratique religieuse rigoriste, particulièrement exacerbée en matière de Ramadan. Ce sont des éléments qui doivent permettre de déclencher une enquête approfondie ». Un trait d’égalité est ainsi tracé entre musulman pieux et individu « radicalisé » et, partant, entre musulman et personne « radicalisable ». Conclusion : d’après le président de la République et son ministre de l’Intérieur, il est désormais légitime, et même recommandé, de « signaler » un musulman pratiquant.
« Un acte de civisme »
À la fac de Cergy, on a suivi les consignes au pied de la lettre. Le lundi 14 octobre, un mail a ainsi été envoyé à l’ensemble des personnels de l’université, présentant une méthode de « détection de personnes susceptibles d’être en cours de radicalisation ». Sur une fiche de signalement envoyée avec le mail, une liste des « signaux faibles » est dressée, entre autres : « apparition du voile », « changement de physionomie » avec « port de la barbe sans moustache », « changement vestimentaire » avec « port d’une djellaba » ou d’un « pantalon dont les jambes s’arrêtent à mi-molets » (sic), « absentéisme récurrent aux heures de prières », etc. Soit du Castaner version Excel, avec en prime un appel au fichage au nom du « civisme » : « La sécurité étant l’affaire de tous, signaler des événements qui pourraient avoir des conséquences graves est un acte de civisme. »
Face au tollé suscité par cet appel à la délation et au fichage des musulmanEs, la fac de Cergy a présenté ses excuses, parlant de « formulation inappropriée et source d’incompréhension ». Ingrats, Macron et Castaner n’ont pas apporté leur soutien à la démarche de l’université, qui n’a pourtant fait que mettre en musique les préconisations du gouvernement, et marcher sur les pas de Jean-Michel Blanquer qui a rangé, lors d’une interview sur BFM-TV le 13 octobre, parmi les « signaux faibles », le fait qu’il y ait à l’école « des petits garçons qui refusent de tenir la main d’une petite fille. » Et d’ajouter : « Normalement, la solution à ce problème est relativement simple et rapide, mais [s’il] débouche sur un problème plus grave, on le signale. » Soit un encouragement à signaler la prétendue « radicalisation » d’enfants, évidemment musulmans.
Islamophobie d’État décomplexée
Dans un tel contexte, on n’a malheureusement guère été surpris de voir un élu du Rassemblement national se sentir légitime pour organiser l’humiliation publique d’une femme voilée accompagnant une sortie scolaire au Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, en exigeant qu’elle retire son voile. Et d’expliquer sur Twitter : « Après l’assassinat de nos quatre policiers, nous ne pouvons pas tolérer cette provocation communautariste ». Une attitude et des propos scandaleux, qui n’ont pourtant guère été critiqués, sur le fond, par le gouvernement ou par Les Républicains.
C’est au contraire la désagréable petite musique « le RN pose de bonnes questions mais apporte de mauvaises réponses » qui a été jouée, puisque le « débat » qui a suivi n’a pas concerné les lamentables amalgames entre musulmans et terroristes mais la présence des mères voilées dans les sorties scolaires, avec par exemple un Jean-Michel Blanquer expliquant que « le voile n’est pas souhaitable dans nos sociétés […] car il n’est pas conforme à nos valeurs ». Ou comment, une fois de plus, tracer une frontière civilisationnelle entre « nos valeurs » et celles des musulmanEs…
La séquence islamophobe que nous traversons n’est pas une poussée de fièvre qui va retomber. Elle témoigne du développement d’une islamophobie d’État décomplexée, assumée et revendiquée, avec un alignement sur les positions de l’extrême droite qui peine désormais à paraître plus « radicale » que le gouvernement et les Républicains. Du côté de la gauche sociale et politique, l’heure n’est décidément pas aux atermoiements et aux débats sémantiques, mais à la construction d’une riposte d’ampleur, au côté des premierEs concernéEs et sans céder un pouce de terrain, pour arrêter la machine à stigmatiser et à discriminer.
Julien Salingue