Retour sur l'année 2018. « Nous ne reprendrons pas le cours normal de nos vies, comme trop souvent par le passé dans des crises semblables, sans que rien n’ait été vraiment compris et sans que rien n’ait changé » : ainsi Macron concluait-il son discours du 10 décembre. Il veut faire exactement le contraire : préserver l’essentiel de sa politique. À nous de le faire céder.
Face aux Gilets jaunes, le pouvoir a dans un premier temps joué le mépris et l’ignorance, au point qu’Édouard Philippe a même balayé d’un revers de main les offres de service de la direction de la CFDT proposant de lancer une grande concertation. Pour le pouvoir, il n’était question ni de faire des concessions ni de réintroduire dans le jeu des « partenaires sociaux » qui font perdre du temps même quand on ne leur cède rien.
Organiser l’apparent recul
Mais ensuite, le mouvement s’amplifiant, outre une escalade de la répression, le gouvernement décide le 4 décembre de lâcher sur les carburants : suspension ? annulation de la hausse de la taxe ? Ils hésitent… Ce sera finalement l’annulation.
Mais le mouvement est fort. Et il est clair qu’il a d’autres motifs : hausse de la CSG, suppression de l’ISF, non-augmentation du SMIC… tout est remis en cause. Le patronat est le premier à comprendre qu’il faudra lâcher plus : même si la production n’est pas bloquée, si les grèves annoncées ne se concrétisent pas ou peu, la direction du MEDEF craint que la situation ne devienne plus sérieuse. Le 4 décembre, Geoffroy Roux de Bézieux, le « patron des patrons », propose une augmentation du SMIC, mais à condition de baisser les cotisations sur le salaire minimum…. Autrement, dit la sécurité sociale ou le contribuable paiera.
Donner quelque chose aux salariéEs… sans que ça coûte un centime aux patrons : l’idée est bonne, commence-t-on sans doute à penser dans les cabinets ministériels, qui planchent sur l’intervention prévue de Macron. Mais pas question de toucher au SMIC lui-même, cela apparaîtrait comme une victoire directe des salariéEs grâce aux Gilets jaunes. Donc, la solution sera l’usine à gaz de la prime d’activité, faussement annoncée, le 10 décembre, comme une hausse du SMIC, en même temps que l’exemption de cotisations et d’impôts sur les heures supplémentaires et un recul en arrière partiel sur la hausse de la CSG des retraitéEs.
Des entourloupes
Ces mesures sont des entourloupes. La hausse de la prime d’activité ne concernera pas touTEs les salariéEs au SMIC, elle ne compte pas pour la retraite et rien ne garantit qu’elle sera revalorisée comme le SMIC fin 2019. La mesure sur les heures supplémentaires les rend encore moins coûteuses : c’est un encouragement à y recourir (d’autant que leur taux de majoration peut, par accord conventionnel, être abaissé à 10 %) au détriment des embauches. Quant aux retraitéEs, la non-augmentation de la CSG ne compensera pas la baisse programmée du pouvoir d’achat lié aux pensions, programmée tant pour les retraites du régime général que pour celles des régimes complémentaires.
Ces mesures ont un coût évalué par le gouvernement à 10 milliards d’euros. On peut le comparer aux quelque 18 à 20 milliards pour 2019 liés à la transformation du CICE et aux quelque 4 milliards d’euros de pertes de recettes résultant de la réforme de l’ISF. Les Gilets jaunes ont raison de dire que ce ne sont que des miettes. Des miettes qui devront, de plus, être payées par la population elle-même, avec la TVA, la CSG et toute cette fiscalité de plus en plus injuste, ainsi que par des restrictions supplémentaires à venir dans les dépenses publiques utiles.
Mais pas dans celles concernant l’armée et la police. Pour cette dernière, il y a de l’argent, avec non seulement une hausse des salaires de 120 à 150 euros nets par mois, mais aussi le renouvellement du matériel répressif : le ministère de l’Intérieur a passé commande le 23 décembre dernier de trois lots de LBD 40 : un lot de 180 lanceurs multi-coups à six coups, un lot de 270 lanceurs multi-coups à quatre coups, enfin, un lot de 1 280 lanceurs mono-coup. Par contre, les fermetures de lits d’hôpitaux, de bureaux de poste, de petites lignes SNCF… continueront, obligeant les habitantEs des campagnes, petites villes et périphéries des agglomérations à utiliser encore plus leur voiture.
Quelques concessions pour sauver l’essentiel
Les 10 milliards, c’est « Je paie une tournée générale, sors ton porte-monnaie ». Quelques mesures peuvent, certes, coûter aux entreprises, comme la fameuse « prime exceptionnelle », mais sur la base du volontariat. C’est une forme de charité, encouragée là encore par des avantages fiscaux et, au surplus, certains patrons ne se gêneront pas, au moment des négociations annuelles obligatoires (NAO), pour dire qu’ils ont déjà fait un « effort ».
Macron fait quelques concessions pour sauver l’essentiel : les réformes néo-libérales déjà intervenues, ou à venir. Un peu plus de déficit budgétaire ne le gêne pas si c’est pour sauver le noyau dur de sa politique, et la Commission européenne sera compréhensive. Car, comme le signale justement l’économiste Stefano Palombardini sur son blog Mediapart : « Il est essentiel de souligner que le cœur du néolibéralisme n’est pas l’austérité budgétaire, mais une relation salariale "flexible", la main libre au patronat dans les relations du travail, une protection sociale pliées aux règles marchandes. L’austérité a été utilisée, en France comme ailleurs, pour montrer le caractère prétendument inéluctable des réformes néolibérales, qui sont à l’origine de la diffusion de la précarité, de la pauvreté et des inégalités grandissantes… »
D’ailleurs, comme le faisait remarquer Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale, « il n’y a pas de changement de cap ». Le gouvernement nous ressert déjà le discours sur le déficit public et la dette. Cette musique vise à justifier des mesures sévères de baisses des dépenses et de nouvelles privatisations, alors même que la dette s’accroît, en premier lieu en raison des subventions et exemptions accordées aux revenus élevés et aux entreprises. Si la réforme des retraites sera peut-être un peu décalée, celle de l’assurance chômage est toujours d’actualité : alors que le gouvernement réclame 1,3 milliard d’économies par an, à charge aux « partenaires sociaux » de trouver comment satisfaire cette exigence, le patronat a présenté, à la veille de Noël, un ensemble de propositions aboutissant à 1,9 milliard d’euros par an sur le dos des chômeurEs…
En faisant mine de satisfaire les Gilets jaunes et de soutenir le pouvoir d’achat, Macron veut préserver l’essentiel de sa politique. Il faut le contraindre à céder, sur l’ISF, sur les salaires, les retraites… et que le mouvement ouvrier se dispose enfin et résolument dans cet objectif.
Henri Wilno