La croissance annuelle du PIB dépassait régulièrement les 6 % avant les années 70, puis 4,5 %. Depuis la crise de 2008, elle ne redécolle plus, restant autour des 3 %. La croissance des États-Unis n’a plus dépassé ce chiffre, hors reprise post-Covid. Elle ne serait que d’1,7 % en 2025. La Chine s’en sort mieux dans l’absolu, avec une croissance de 5 % en 2024, mais qui baisse fortement chaque année, alors qu’elle dépassait régulièrement les 10 % avant 2008.
L’Europe est en stagnation : 0,5 % en 2023, 0,8 % en 2024. L’Allemagne a connu quatre trimestres de récession, l’Italie voit son modeste rebond s’essouffler. Cependant, l’Espagne affiche 3,2 % de croissance en 2024, mais qu’on ne s’y trompe pas : il s’agit d’un rattrapage qui ne durera sans doute pas, car ce pays n’avait pas fini de récupérer après la crise de 2008.
Il faut ajouter à cela tous les facteurs qui pèsent sur la situation économique mondiale. On pense immédiatement à la « guerre commerciale » de Trump mais d’autres nuages s’accumulent. Les espoirs se portent sur l’IA pour relancer la croissance de la productivité mais ses effets pourraient être très faibles. Daren Acemoglu, du MIT, estime ainsi que l’apport de l’IA à la productivité pourrait n’être au final que de 0,064 % par an ! L’IA prend ainsi de plus en plus les atours d’une bulle technologique : les investissements sont énormes mais le risque de surcapacité et d’une rentabilité beaucoup plus faible que prévue est important. Côté chinois, la crise de surproduction guette. L’État intervient régulièrement pour éviter cela, dernièrement dans le secteur automobile pour mettre un coup d’arrêt à la guerre des prix. Mais avec une demande intérieure qui peine, le problème reste entier pour le gouvernement chinois donc pour le système dans son ensemble.
Des risques supplémentaires
La finance privée est un point de risque important. Aujourd’hui, les acteurs financiers non-bancaires possèdent plus de la moitié des actifs financiers mondiaux et des dettes publiques européennes, et l’Union Européenne envisage de déréguler le secteur pour encourager… la titrisation, celle-là même qui avait été à l’origine de la crise de 2008, suite à laquelle la réglementation actuelle avait été mise en place ! Le FMI lui-même pointe le risque systémique, d’autant que les acteurs financiers non-bancaires sont très liés aux banques. Et la France fait partie des cibles du géant Apollo, qui a notamment financé EDF pour Hinkley Point, un projet qu’aucune banque n’a voulu se risquer à financer.
Enfin et surtout, les crises écologique et sociale vont aller en s’aggravant. Or, il est impossible de les régler dans le cadre du système capitaliste, car toute relance de la croissance demandera plus d’énergie et de ressources, et le maintien en vie du système se fait aux dépens des classes travailleuses, par l’explosion des inégalités. Mais ces deux crises grèvent à leur tour la croissance si nécessaire au capitalisme… En France, les prévisions de croissance (Insee) sont de 0,8 % pour 2025, après 1,2 % en 2024 et 0,9 % en 2023. Et encore, elles sont tirées par la vente de stocks, surtout dans l’aéronautique et l’automobile. La production industrielle française stagne, à l’exception des matériels de transport (naval, ferroviaire, aéronautique et spatial). Elle a même baissé dans la construction. Malgré la baisse des prix des hydrocarbures, la balance commerciale de la France était en déficit de 43 milliards au premier semestre car les importations ont rebondi en même temps que les exportations. L’aéronautique, la chimie, les produits pharmaceutiques, les cosmétiques et les produits agricoles la soutiennent. Si la balance des paiements de la France est redevenue excédentaire l’année dernière, c’est grâce à l’exportation de services qui dégage un excédent de 32 milliards.
Enfin, l’instabilité politique, mondiale comme française, pousse nos courageux capitalistes à ne surtout pas prendre de risques, les pauvres. Les effets de la politique douanière de Trump ont ainsi été évalués à 0,4 % du PIB pour 2026, moins du fait des droits de douanes eux-mêmes (0,1 %) que du fait de « l’instabilité » (0,3 %). Les pirouettes de Macron et ses sbires, avec la chute du gouvernement, font également peur aux bourgeois, qui préfèrent toujours savoir à quelle sauce ils vont manger. L’OFCE estime l’impact de l’instabilité nationale à 0,3 % du PIB, là aussi.
Devant l’instabilité et la précarité, pas de reprise par la consommation
La croissance aurait pu reprendre par la consommation : les salaires ont progressé plus vite que l’inflation. Pourtant, la population préfère épargner : les économistes bourgeois estiment que c’est « l’instabilité » qui nuit à la consommation. C’est oublier que les salaires réels ont baissé en 2022, 2023 et 2024. Sans parler des salaires des fonctionnaires…
Plusieurs titres de presse bourgeoise, comme les Échos, ont souligné la production de nouveaux emplois, avec une certaine satisfaction. Pourtant les salariés se comportent comme si l’emploi allait mal. Étrange, n’est-ce pas ? En réalité, le chômage au sens du BIT continue d’augmenter et va atteindre 7,6 % à la fin de l’année (+0.1 %), puis 7,7 % l’année prochaine. De manière générale, les classes moyennes décrochent, consomment moins. Le luxe en est un bon indicateur : LVMH et Kering sont en plein désarroi, malgré des résultats encore ahurissants. Celui de LVMH, par exemple, a baissé de plus de 20 %, seul Sephora sortant du lot.Surtout, les licenciements sont légion, dans la ligne de l’année 2024 déjà terrible. 300 000 emplois pourraient être concernés, surtout dans la métallurgie, l’industrie chimique, le commerce et l’édition, selon la CGT. En mai 2025, elle dénombrait 381 plans sociaux. Les faillites d’entreprises se multiplient, atteignant des niveaux historiques. Les PME et ETI qui survivent sont moins endettées qu’en 2019, mais le nombre de sociétés fragiles, à la merci d’un coup de vent économique, augmente malgré tout selon la Banque de France. Si le chômage n’augmente pas plus que cela, c’est donc parce que les emplois détruits sont remplacés par d’autres. Mais ces derniers sont moins bien protégés et moins bien rémunérés. Le prolétariat français, qui vit cela dans sa chair, a bien compris que la période est aux vaches maigres
Il ne faut d’ailleurs pas attendre de créations massives d’emplois à l’avenir. En régime capitaliste, la productivité est reine. On a vu que pour l’augmenter, l’IA est un miroir aux alouettes. Avec certaines politiques publiques comme le soutien à l’apprentissage ou les prêts garantis par l’État, de nombreux emplois ont été créés sans être liés à une hausse de la production, ce qui a fait baisser la productivité.
Plus d’alternative à la lutte des classes pour les travailleurs !
Qui s’en sort le mieux ? La défense, comme par hasard : Airbus, Safran, Thales notamment, et leurs sous-traitants avec eux. Les commandes des programmes de réarmement tombent, à hauteur de dizaines de milliards. Les producteurs d’équipements électriques (Legrand, Schneider Electric), eux, sont portés par la hype pour l’IA et les data centers. L’armement, soulignons-le, est un secteur de réserve pour le capital : les commandes sont garanties, les stocks s’écoulent toujours. On sait comment cela finit : quand on achète des armes, c’est pour s’en servir, en France ou à Gaza…
Au-delà des conséquences pour la population, la faiblesse de l’économie française rend aussi la dette plus difficile à soutenir. La dette publique atteignait 113,9 % du PIB en mars (3 345 milliards d’euros) ; la bourgeoisie agite l’austérité comme seule solution.
Celle-ci a pourtant des conséquences inverses à celles annoncées : elle ralentit la croissance. Pour ne donner qu’un exemple, les coupes budgétaires menées par Bayrou dans le budget des collectivités locales ont eu un effet dévastateur : le « cycle de l’investissement public » s’est achevé plus tôt et plus brutalement que prévu. Or la commande publique est un moteur essentiel de l’économie, que ce soit en France, en Allemagne ou ailleurs.
Surtout, cette austérité cache mal sa nature de transfert du Travail vers le Capital : il s’agit de couper dans les dépenses sociales, pas dans les subventions, exonérations de cotisations sociales et autres aides aux entreprises, estimées à 211 milliards par an. C’est le nœud du problème : l’essentiel de l’économie française tourne soit à la rente, soit aux aides publiques, soit aux deux. Sans ces deux éléments, la croissance serait nulle, comme nos bourgeois. Pour maintenir ou augmenter leurs profits, ils n’ont plus d’autre solution que de continuer dans cette voie et dans celle de la répression sociale et de la dérégulation. Dégrader l’emploi pour augmenter le taux d’exploitation, faire sauter les normes écologiques mais aussi éthiques, sanitaires, financières…
Il ne peut donc pas y avoir de budget de compromis : soit il y aura un transfert encore plus important du Travail vers le Capital, comme le souhaitent l’extrême-centre et les néofascistes ; soit il y aura une redistribution nette du Capital vers le Travail. « Négocier » ne pourrait aboutir qu’à la première solution, car la bourgeoisie ne pourra accepter de donner que si elle obtient encore plus derrière. Si le PS obtenait une simili- taxe Zucman rabougrie, par exemple, ou encore une légère diminution des aides aux entreprises, ce ne pourrait être qu’au prix de reculs sociaux ou environnementaux au moins équivalents, et d’un soutien toujours plus fort à la militarisation du pays.
En tout état de cause, permettre à cette bourgeoisie de boucler un budget malgré sa crise de régime, ce serait permettre à ce tas de parasites de survivre dans leur confortable médiocrité. Il n’y a donc qu’une seule voie pour toutes celles et ceux qui souhaitent vivre bien : en finir avec la Macronie le plus vite possible et mettre en place une économie qui ne dépende pas d’une croissance mortifère et illusoire, mais qui serve d’abord nos besoins.