« Vu ce qu’on montre en ce moment, les élus locaux qui ont l’étiquette En Marche ont du souci à se faire. » Ainsi s’exprimait, sous couvert d’anonymat, un député LREM, quelques heures avant d’être reçu, au côté de l’ensemble des élus du groupe, le 11 février à l’Élysée. Une certaine lucidité, pour ne pas dire une lucidité certaine : la multiplication des départs, des candidatures concurrentes aux municipales, mais aussi, pour la première fois, des critiques ouvertes à l’encontre de Macron lui-même, tout cela participe d’une fragilisation de plus en plus visible de la Macronie, sous la pression d’une contestation tous azimuts.
Le mouvement des Gilets jaunes, de même que l’exceptionnelle mobilisation face à la contre-réforme des retraites, sont venus faire dérailler le train de la Macronie triomphante. Et c’est ainsi que l’on a vu, depuis la fin de l’année 2018, la majorité se fragiliser, les départs s’accélérer, les dissensions s’affirmer, et l’exécutif être de plus en plus critiqué, parfois pour ses orientations, le plus souvent pour sa méthode.
Critiques tous azimuts
Les travailleurEs ne sont pas les seuls à désavouer le gouvernement… Le récent avis du Conseil d’État, qui critique vivement le gouvernement et son projet sur les retraites, indique en effet que du côté des institutions elles-mêmes, la « méthode » Macron ne passe pas… « Des projections financières douteuses », un recours ultérieur à des dizaines d’ordonnances non encore écrites, une universalité et une égalité de traitement qui n’existent pas puisqu’il prévoit cinq régimes différents et de nombreuses règles dérogatoires dans ces cinq régimes… De plus, concernant la revalorisation des salaires des enseignantEs, le Conseil d’État rappelle que la loi ne peut pas prévoir des dispositions qui seraient adoptées ultérieurement, dans une autre loi, et il indique aussi que le projet ne peut pas prévoir de subventionner la Caisse de retraite complémentaire des navigants. Dommage car c’était deux secteurs d’activité que le gouvernement espérait se mettre dans la poche !
De son côté, l’ARRCO-AGIRC vient de calculer que la retraite à points, avec l’arrêt des cotisations des hauts salaires, va générer un déséquilibre de 3,7 milliards annuels pendant 15 ans. Il faudra en effet continuer à payer des pensions élevées pour des cadres retraités, alors qu’une part des cotisations des cadres actifs ne sera plus perçue. Cerise sur le gâteau : le Medef lui-même s’en prend au projet de contre-réforme des retraites, réclamant le maintien du régime par répartition pour les hauts salaires…
Compter avec les faiblesses de ceux d’en haut
Sous le feu des mobilisations et prise au piège de son assurance et de son arrogance, la Macronie semble plus isolée que jamais, et l’approche des élections municipales ne va rien arranger – et c’est tant mieux ! En effet, après l’épisode catastrophique pour Macron de sa fuite du théâtre des Bouffes du Nord, après les nombreuses « perturbations » pendant les vœux des députéEs et ministres LREM, c’est désormais le tour des candidatEs aux municipales. Édouard Philippe lui-même a dû se confronter, au Havre, à un comité d’accueil de grévistes. Chaque déplacement, chaque sortie d’un responsable LREM est l’occasion potentielle d’une manifestation ou d’une action : une situation dont de plus en plus de cadres de la majorité se plaignent, qui demandent désormais des comptes à un Macron qui les traite eux aussi avec arrogance, comme l’a montré le récent épisode du congé de deuil parental.
Le pouvoir est donc fragilisé, et nous ne pouvons que nous en réjouir : pour gagner, ceux d’en bas doivent aussi compter avec les faiblesses de ceux d’en haut, leurs divisions, et travailler à les approfondir. Il ne s’agit pas, toutefois, de sous-estimer le fait que l’assurance de Macron n’est pas uniquement feinte, non seulement en raison de sa conception autoritaire du pouvoir, liée à la conviction qu’il sait ce qui est « bon » pour le pays, quitte à passer en force, en s’appuyant sur les institutions antidémocratiques de la 5e République et aussi car ses calculs électoraux qui sont les siens reposent sur l’idée qu’un socle à 23-24 % lui suffit pour être réélu face à Marine Le Pen en 2022. L’objectif d’un blocage d’ampleur et durable doit dès lors demeurer, seule possibilité de contraindre le pouvoir à reculer face à une grève nécessairement politique.