Publié le Vendredi 28 octobre 2011 à 10h16.

Les enjeux d’une campagne

Face à la politique de continuité que nous promet Hollande s’il est élu, le programme du Front de gauche fondé sur la bataille institutionnelle ne saurait suffire.

Le 16 octobre, 3 millions d’électeurs se sont saisis de l’occasion des primaires du Parti socialiste pour dire leur ras-le-bol de Sarkozy et des politiques de rigueur. Le discrédit de l’UMP et du pouvoir grandissent aux rythmes de la crise et des scandales. Ce mouvement de rejet s’exprime, pour une part, autour du Parti socialiste et de celui qui est maintenant son candidat, François Hollande. Les premiers sondages sont significatifs : au premier tour Hollande devance largement Sarkozy et l’emporterait avec plus de 60 % des voix au second.

Celui que sa rivale Martine Aubry appelle « la gauche molle » ou Jean-Luc Melenchon « un grand bol d’eau tiède », devient ainsi le porte-parole d’un profond mécontentement. Certes, sans illusion mais il n’empêche, Hollande devient le symbole d’aspirations et d’exigences qui le dépassent largement. Samedi dernier, à l’occasion de la convention d’investiture, le « candidat normal » a tenté de sortir de lui-même pour s’inscrire dans la continuité historique de Mai 68, du 10 mai 1981 et… du gouvernement Jospin, évoquant pèle-mêle Jaurès, Blum, Mitterrand puis… Gambetta, Ferry, Clémenceau, Moulin et De Gaulle… « La France que je présiderai portera un message universel ». Tout ça pour nous convier à « être les meilleurs dans la mondialisation » et à construire un « pacte éducatif », « démocratique ». On imagine assez mal la portée universelle de celui qui se veut l’homme de la rigueur budgétaire, de la maîtrise des déficits et qui a d’ores et déjà annoncé que le « projet socialiste » ne serait même pas son programme.

Homme des ambiguïtés, Hollande s’inscrit en toute cohérence dans la continuité de Mitterrand. Si ce dernier avait réussi la cohabitation droite-gauche, Hollande, lui, veut réussir l’alternance droite-gauche en s’appuyant sur les modifications du calendrier électoral qui associe la présidentielle aux élections législatives. Et pour l’heure, entre deux discours creux, il discute de choses sérieuses, « la préparation d’une future majorité parlementaire ». Dans sa polémique avec Cécile Duflot, il met les points sur les i ; « Accord de gouvernement et accord électoral sur les circonscriptions sont liés. » À bonne entendeur, salut ! Impasse institutionnelleEt le Front de gauche se débat dans le piège. Mélenchon a beau promettre de « faire jouer les muscles » ou de « tellement secouer Hollande qu’il va bouger », c’est bien Hollande qui tient les rênes. En bon mitterrandien, ce dernier saura jouer la force tranquille, laisser le temps au temps pour faire plier ses alliés potentiels aux contraintes des institutions.

« Si j’arrive à prouver que le vote utile est celui qui assume la confrontation avec le système financier, qui veut transformer les institutions et organiser le partage des richesses, j’ai gagné. Sinon, Hollande l’emportera », s’exclame Jean-Luc Mélenchon. La confrontation, dans les urnes ? Transformer les institutions avec l’accord de la haute administration, de l’État ? Partager les richesses dans la concertation ? Ce n’est pas crédible. Le radicalisme du verbe ne suffira pas à sortir le Front de gauche du piège institutionnel et parlementaire, de sa dépendance vis-à-vis du PS.

L’enjeu de la campagne est tout autre. Il s’agit d’ouvrir une perspective qui prépare une réelle confrontation avec les banques, les gros actionnaires et le patronat pour, par les luttes et les mobilisations, changer le rapport de forces, conquérir la démocratie, c’est-à-dire le droit pour les travailleurs et la population de contrôler la marche de l’économie, de la finance, de l’État. L’enjeu est de nous donner les moyens de construire une force politique, ouvrière et populaire, qui assume sans ambiguïté la confrontation, une opposition de gauche si la gauche libérale revient aux affaires. C’est bien là le véritable débat à gauche.

Yvan Lemaitre