Une des particularités remarquées du mouvement des Gilets jaunes (GJ) est sa forte féminisation. Retour sur un phénomène qui rappelle, à qui l’avait oublié, l’importance des questions féministes et leur lien essentiel avec la lutte de classe.
D'emblée, nous devons relever deux choses :
– Il n’y a sans doute pas plus de femmes mobilisées dans les GJ qu’il n’y en a eu dans les autres grandes luttes touchant à nos conditions de travail et de vie, mais en partie du fait que ce mouvement émerge en dehors des cadres et des représentations traditionnelles du mouvement ouvrier, leur présence et leur rôle central sont aujourd’hui largement reconnus. Certains s’étonnent d’y trouver autant de femmes – nous nous étonnons qu’il ait fallu attendre autant pour qu’ils arrivent enfin à les voir ;
– Les femmes commencent à s’organiser en tant que femmes dans ce mouvement. Ainsi les cortèges femmes GJ dans les manifestations du samedi, puis les manifestations en propre des femmes GJ, sont de leur propre initiative.
De la même façon que ce mouvement pose les conditions d’un formidable développement de la conscience de classe, il pose aussi celles d’un développement à très large échelle de la conscience féministe.
Quand précarité rime avec féminité
Mères seules, femmes au foyer, temps partiels imposés, infériorité des salaires, retraites misérables... Il suffit de demander à une GJ pourquoi elle bloque son rond-point ou pourquoi elle manifeste pour entendre parler des particularités de ses conditions de vie et de travail de femme. Le constat d’être les précaires des précaires dans l’organisation de la vie sociale est largement partagé. De plus, beaucoup d’entre elles font directement le lien entre la précarité et l’exposition aux violences. Certes, les violences contre les femmes existent dans toutes les classes sociales, mais il est d’autant plus difficile de quitter un foyer violent quand on n’est pas autonome financièrement. D’ailleurs, personne n’a été dupe du vernis féministe dont Macron a tenté de se parer lors de son premier discours de réaction aux GJ, tentant d’opposer les vraies victimes (« les femmes de courage ») aux vrais coupables : les GJ violents.
Des « femmes en lutte » au féminisme
Ces expériences accumulées de manifestations et de cortèges de femmes amènent aujourd’hui à de nouvelles étapes dans la structuration des femmes GJ qui posent avec acuité la nécessité de passer d’un mouvement des femmes à un mouvement féministe.
La présence de l’extrême droite, y compris chez les femmes gilets jaunes, en particulier dans la manifestation du 20 janvier, impose de lutter contre les discours essentialistes et ceux qui tentent d’opposer droits des femmes et des autres catégories discriminées. Comme une militante GJ le dit : « Féministe, pas raciste, pas LGBTI-phobe ».
Tout comme au reste des GJ, la question des revendications se pose, et c’est très naturellement que les revendications classiques du mouvement féministe prennent leur place au côté de celles communes à tout le mouvement.
L’agenda du mouvement féministe commence à croiser celui des GJ, et l’absurdité de ne pas manifester ensemble se pose de plus en plus. Dimanche dernier à Paris, deux manifs de femmes avaient lieu en plus de celle des femmes GJ... La question se pose d’autant plus que nombre de femmes GJ organisatrices de ces rassemblements se pensent explicitement comme féministes, qu’elles soient organisées ou non.
De la liberté de disposer de son corps à celle de mener sa vie dignement
Si le mouvement des GJ mobilise une partie du prolétariat qui était ces dernières années relativement absente des grandes luttes du mouvement ouvrier, cela ne veut certainement pas dire qu’il ne s’agit pas de lutte des classes. Et s’il mobilise des femmes et minorités de genre relativement absentes du mouvement féministe organisé, cela ne veut certainement pas dire qu’il ne s’agit pas d’une lutte féministe. Bien au contraire, les GJ représentent un des éléments de l’avenir des mouvements ouvriers et féministes à reconstruire. Les femmes organisées sur leurs revendications sont une des avant-gardes des grandes luttes, comme elles le furent dans toutes les révolutions (de 1789 à 1917). Plus proche de nous, on peut citer le mouvement de 1995 précédé de la grande manif du 25 novembre ou encore… la manif de lancement des GJ se faisant sur fond de la plus grosse manif féministe de ces dernières années. Le 8 mars approche, la grève du travail domestique et salarié aussi, à nous d’être à la hauteur de nos responsabilités et de la situation : nos corps et nos vies nous appartiennent ! Femmes précaires, femmes en colère, femmes en guerre !
Aurore K., Lisa D. et Louise R.