Après l’émission de France 2 et les meetings à Nantes et Metz, la campagne du Front de Gauche est lancée et semble recueillir un certains enthousiasme. Mais la perspective de majorité parlementaire ne peut qu’entretenir les illusions.Il y aurait comme un frémissement. Dans l’atonie générale d’une campagne où les deux principaux candidats ne veulent pas s’engager – ou le plus tard possible – celle de Jean-Luc Mélenchon semble désormais rencontrer un certain écho. Après un passage réussi sur France 2, l’enthousiasme est de mise, visible lors des meetings de Nantes et de Metz, la semaine dernière.De Gaulle et Jaurès, Marchais et Mitterrand…D’emblée le ton est donné, en renouant délibérément avec les valeurs, les émotions d’une gauche longtemps méprisée, celle qui s’accroche à un mouvement ouvrier trop souvent synonyme de recul, d’archaïsme et de défaites. Cela commence par une vidéo : « Sortez les invisibles ! » Puis le début d’une intervention en forme d’hommage : « Je dédie ce rassemblement aux ouvrières et ouvriers syndicalistes qui dévouent leur vie aux autres […] ils sont le sel de la terre ».Mélenchon se veut le « candidat des travailleurs », celui qui redonne courage quand la peur et le découragement dominent, le « seul » qui s’oppose à cette « voix doucereuse de la résignation et du réalisme », où chacun reconnaîtra François Hollande.Contre les « quatre Dalton de l’austérité », il est l’homme de la « résistance » : « Ils me méprisent, ils m’insultent, ils ne m’impressionnent pas ».Il y a la gouaille d’un Marchais, un côté grande gueule qui sait parler au « populo » loin des salons parisiens, seul contre tous. Il y a la nostalgie du « programme commun » quand socialistes et communistes étaient unis. Il y a la Nation associée aux sans-culottes d’aujourd’hui, l’enthousiasme et l’emphase censés nous rappeler les meilleures heures d’un roman national : « Voici le peuple français qui monte avec tous les peuples de la terre à l’assaut du ciel une nouvelle fois […] Vive le peuple souverain, gloire à la classe ouvrière ! »La scénographie est bien réglée et semble plaire. Mais pour aller où ?La République pour résoudre toutes les contradictionsUn premier meeting avait déjà donné le ton, place de Stalingrad, à Paris, en juin, n’hésitant pas à parler de « révolution » ou de « rupture avec les institutions », tout en rendant un hommage appuyé à De Gaulle.Désormais l’ennemi principal est clairement identifié : c’est Marine Le Pen, la « semi-démente ». Qui prendra l’ascendant sur les classes populaires ? Le grand écart n’en est que plus vertigineux, Mélenchon affirmant dans un même élan : « Ton intérêt de classe, c’est de voter avec ta classe ». Avant d’enchaîner immédiatement après sur l’école censée ouvrir nos esprits : « Gloire à l’école républicaine […] Va à l’école de la patrie, celle qui est la même pour tout le monde ». Les prétendues « valeurs universelles » de la République sont donc à l’honneur !Mais si l’enthousiasme est au rendez-vous, la clarté l’est un peu moins. C’est même sans doute inversement proportionnel. Mélenchon a choisi pour l’instant de laisser en grande partie la question du programme. Mais lorsqu’il le fait, les questions restent souvent sans réponse. Face à Hollande qui ne s’engage sur rien et renie le peu qu’il semble avoir promis, Mélenchon affirme avec fierté être le candidat de la retraite à 60 ans mais il reste désormais volontairement évasif sur les 37,5 annuités de cotisations. Le slogan est trouvé : « Prenez le pouvoir ». Mais dans les entreprises, une seule proposition pratique : les Scop !Face à la dette et au refus de la BCE de prêter directement aux États, il prétend néanmoins disposer d’une arme redoutable : « l’emprunt forcé sur les banques » au même taux de financement que celui qu’elles obtiennent auprès de la BCE. Mais il ne suffit pas d’une loi pour agir, on en sait quelque chose avec la réquisition des logements.Une part d’illusion sans doute incontournable à cette étapeMélenchon s’affiche désormais aux côtés de Bernard Thibault. La tradition est respectée, il n’y aura pas un mot de critique sur les directions syndicales mais une injonction : « Ne cédez jamais, ne baissez jamais les yeux […] groupez-vous autour de vos syndicats ». Pour le reste, le suffrage universel se suffit à lui-même avec cette conclusion en forme de citation : « Rappelez-vous ce qu’a dit Victor Hugo : qui vote règne ! »Il y a sans doute une part de vérité dans l’explication donnée par le secrétaire de la fédération communiste de Moselle, cité dans l’Huma du 20 janvier : Mélenchon commence à avoir du succès parce qu’il est capable de démontrer que « la gauche peut être crédible quand elle est vraiment de gauche ».Mais de quelle crédibilité parle-t-on ? Entre un PS qui n’est plus vraiment à gauche, et une extrême gauche bien de gauche mais qui paraît impuissante car refusant le jeu des institutions, il y a cette part d’illusion que Mélenchon est en train de recréer : un discours radical gardant dans la besace la perspective d’une majorité parlementaire, voire de gouvernement.Ce retour de flamme d’une prétendue « gauche radicale » est sans doute inévitable après le 21 avril 2002 et des années de droite au pouvoir. Elle n’entame en rien la nécessité de défendre dès aujourd’hui une autre perspective, en toute indépendance, parce qu’on ne bâtit jamais rien de durable sur ce genre d’illusion. Aussi difficile cela soit-il.
Jean-François Cabral