Publié le Mardi 23 janvier 2024 à 13h00.

Mobiliser les classes populaires face au pouvoir impérialiste de Macron

L’installation du nouveau gouvernement Attal est une fuite en avant. Il s’agit pour Macron, mis sous pression par l’extrême droite, de tenter de reprendre la main. Ses difficultés sont liées aux coordonnées générales de la situation, à la crise du système, et aux difficultés des classes dominantes à maintenir leur domination. Même s’il reste, pour le prolétariat, à trouver le chemin pour peser dans cette bataille.

Les difficultés du pouvoir sont multiples. Le choix de la composition du nouveau gouvernement semble une volonté de renforcer encore le caractère bonapartiste du pouvoir : choisir un communicant, avec une base sociale très réduite, pour faire contrepoids par rapport à Gérald Darmanin et Bruno Lemaire. L’arrivée de Rachida Dati symbolise la volonté de continuer à étouffer politiquement Les Républicains. Tout cela sous la pression de l’extrême droite. Car l’évolution capitale des rapports entre les partis est le poids accru de l’extrême droite, entre son intégration à l’arc républicain lors de la manifestation du 12 novembre et le vote de la loi Darmanin. Les groupes d’extrême droite se sentent pousser des ailes, défilant de plus en plus régulièrement dans les rues, en France, avec la manifestation de plusieurs centaines de fascistes samedi 13 janvier à Paris1, et les saluts nazis qui ont été repris par des centaines de personnes devant le siège du MSI à Rome.

Les sondages pour les élections européennes montrent que le Rassemblement national est aux portes du pouvoir, et que la droite, que ce soit celle de Macron ou celle de LR, est en grande difficulté face à cela, car une partie de la bourgeoisie préconise des solutions plus radicalement anti-ouvrières que celles que la politique de Macron peine à lui garantir. Même si celui-ci, avec son « Je ne veux pas de gestionnaires, je veux des révolutionnaires », montre à quel point il envisage de répondre à cette sollicitation.

Un monde en crise de plus en plus difficile à gérer

L’approfondissement de la crise du système capitaliste, et en particulier la baisse de la productivité et du taux de profits, dans le monde et en Europe, poussent les dirigeants politiques bourgeois à accélérer les politiques d’austérité (destruction des services publics, restriction des politiques sociales) et de surexploitation (réforme des retraites, modération salariale).

En France, un nouveau cap est franchi depuis un an. La réforme des retraites, suivie de l’augmentation des violences policières et racistes, la répression contre la révolte des quartiers populaires, l’offensive sur l’abaya, et maintenant la loi Darmanin et le soutien à Israël, sont des sauts qualitatifs dans l’offensive. En effet, toutes ces mesures sont une guerre ouverte contre les classes populaires du pays, pour avoir la maincomplète sur la main-d’œuvre immigrée, pour développer un racisme permettant de discipliner l’ensemble de la population et de surexploiter. Les prochaines attaques dans l’éducation visent à franchir un nouveau cap, dès le collège, dans la sélection sociale et la déqualification. Les jeux Olympiques vont également jouer un rôle important dans ce travail pour encadrer le prolétariat et décupler la politique antisociale, comme le montrent les multiples mesures anti-pauvres, l’arsenal répressif en cours de mise en place et… la tentative d’intégration des centrales syndicales – on peut ainsi s’inquiéter de la présence de l’ancien secrétaire général de la CGT Bernard Thibault au Comité d’organisations des jeux Olympiques.

Le pouvoir doit faire face à une situation très difficile à contrôler : le système capitaliste est entré dans une phase critique depuis la crise des subprimes en 2008. La pandémie du Covid et l’enchaînement des crises climatiques n’ont fait qu’accélérer et renforcer une crise générale qui confine au pourrissement. L’incapacité du système mondialisé à réorganiser les chaînes de valeurs et à assurer une stabilisation des marchés des matières premières renforce l’instabilité des relations internationales et la montée en puissance des crises inter-impérialistes. À une échelle de masse, le système capitaliste est perçu comme prédateur et morbide. Et les systèmes politiques bourgeois, plus ou moins démocratiques, plus ou moins autoritaires, perdent l’hégémonie qui leur permettait d’entraîner une grande partie de leur société. Cette crise de légitimité du système et de ses représentants est réelle et elle s’exprime notamment avec la poussée de l’extrême droite dans de nombreux pays.

Les guerres se multiplient. Ce sont, à cette étape encore, des lieux opposant des puissances impérialistes à des peuples opprimés, comme on le voit en Palestine. Mais ces conflits sont déjà en partie des moyens de repartage du monde et d’affrontements indirects entre grandes puissances, comme en Afrique où la Chine supplante petit à petit la France, comme en Ukraine où l’invasion par la Russie est suivie de très près par les occidentaux, ou à Taïwan, un terrain de concurrence assez directe entre les États-Unis et la Chine.

Les politiques capitalistes provoquent des résistances et des affrontements dans le monde ouvrier. On a en mémoire, pour la France, le mouvement sur les retraites et les récentes irruptions de colère construites en dehors du mouvement ouvrier organisé (Gilets jaunes, révolte des quartiers populaires, révoltes locales contre les désastres écologiques…). Mais, pour l’instant, l’enchaînement des défaites, et notamment la dernière sur les retraites, imprime un climat de démoralisation dans les équipes militantes. Depuis le mois de septembre, les mobilisations ne sont pas au niveau des attaques et des enjeux, que ce soit face au génocide en cours en Palestine et la complicité de notre gouvernement ou contre la loi Darmanin.

Face à l’inflation et à la nécessité d’augmenter les salaires, de nombreux conflits ont lieu dans les entreprises, dont certains peuvent être victorieux (le dernier en date est celui d’Eurostar où, après une demi-journée de grève, les salarié·es ont gagné le triplement de leur prime annuelle), sans que les organisations syndicales qui les accompagnent, ne réussissent à susciter un mouvement large.

Les réponses dérisoires de la gauche institutionnelle

Pourtant, nous aurions besoin d’un mouvement d’ensemble, qui affronte politiquement le gouvernement. Sans cela, c’est l’extrême droite qui prend l’initiative, et les réponses politiques de la gauche institutionnelle sont dérisoires. EELV et le Parti socialiste préparent les élections européennes en ignorant l’ampleur de la crise du système et les préoccupations des classes populaires. En effet, en promouvant des solutions dans le cadre de l’Union européenne, toutes les déclarations pour la justice sociale, la paix ou l’écologie sont des formules creuses qui vont disparaître dans les politiques capitalistes et impérialistes de l’UE, contre les classes populaires, contre les migrant·es et pour les grandes entreprises européennes. Quant au PCF, sa seule préoccupation semble être de poursuivre sa politique identitaire visant à une hypothétique reconstruction.

La France insoumise maintient une orientation plus combative, mais sa stratégie est jusqu’ici de maintenir une volonté, illusoire, d’unité de la gauche. Pourtant, c’est la délimitation par rapport à la gauche gestionnaire, du PS et d’EELV en particulier, qui lui a permis d’acquérir une légitimité, de se construire et de modifier les équilibres à gauche. Le programme de LFI sur l’Union européenne est de plus particulièrement incompatible avec celui du PS et d’EELV puisque LFI revendique des éléments de rupture importants avec l’UE. Le refus de l’unité à gauche correspond fondamentalement au refus des partis de gauche les plus intégrés au capitalisme de se lier à ceux qui le sont le moins et sont ainsi capables de se connecter à la révolte sociale.

Les réactions de la gauche politique et syndicale face aux attaques du gouvernement sont très insuffisantes. Face à la situation en Palestine, c’est quasiment le silence, et la participation aux luttes est faible. Contre la loi Darmanin, c’est la division qui domine, avec l’appel de la CGT à se mobiliser le 21 janvier alors que le cadre unitaire – auquel la CGT elle-même participe ! – appelait à l’action le 14 janvier. Face à l’inflation et aux attaques contre le service public d’éducation, les réponses sont pour l’instant quasi invisibles.

Pourtant, le pouvoir de Macron n’est pas invincible, il connaît même des fragilités importantes. Ainsi, l’arrivée de Catherine Vautrin au ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités est mal perçue, en raison notamment de ses positions contre le mariage pour tous. Et celle d’Amélie Oudéa-Castéra à l’Éducation, avec la polémique autour de l’enseignement privé et son mépris du service public, est déjà dans les têtes. L’approche des jeux Olympiques devrait être un outil pour construire un rapport de forces, à condition de ne pas respecter la pseudo trêve olympique, de refuser les attaques liberticides et antisociales du pouvoir et en profiter pour revendiquer et déstabiliser.

Unitaires et révolutionnaires

Pour les révolutionnaires, la situation n’est pas facile. Pour agir, il faut analyser correctement les rapports de forces sociaux et politiques et en déduire ce qui nous paraît essentiel pour défendre les intérêts généraux du prolétariat.

Ainsi, l’analyse générale montre la nécessité, l’urgence, d’en finir avec le capitalisme. Nous avons besoin de luttes radicales, anti-impérialistes, mobilisant les masses en débordant les appareils préexistants. Mais, d’un autre côté, à l’échelle internationale, le rapport de force est tellement dégradé que nous devons absolument partir de la conscience réelle, des combats concrets, réfléchir à comment mettre en mouvement des masses qui ont peu confiance en elles.

Dans ce cadre, nous devons pousser au rassemblement le plus large dans l’action, dans la rue, pour résister et affirmer que d’autres politiques sont nécessaires et possibles. Initier partout les résistances à la fois dans des cadres unitaires larges mais aussi et surtout à la base, dans les quartiers, dans les entreprises, dans les lycées et les universités. Nous développons nos analyses et notre projet mais sans exclusive ni oukase. Nous construisons des mobilisations les plus fortes possibles et les plus rassembleuses tout en poussant autant que possible les mouvements à s’ancrer localement et à avancer sur des lignes de rupture.

Ainsi sur la question palestinienne, notre investissement dans les comités locaux partout sur le territoire, dans le Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens – cadre avec lequel nous avons des désaccords politiques importants – et dans des collectifs militants locaux à l’image d’Urgence Palestine, reflète cette ligne « unitaire et révolutionnaire ». Nous maintenons à la fois un cadre de mobilisation large, qui regroupe les forces organisées du mouvement ouvrier, tout en poussant à dépasser le cadre idéologique des accords d’Oslo pour revenir aux revendications centrales portées par les Palestiniens, la fin de l’aparthei et des colonies, le droit au retour des réfugié·es, la désionisation et donc la fin de l’État Israélien… Il faut maintenant réussir à ancrer la mobilisation localement à travers des comités de base, quelles que soient leurs appellations.

Sur la loi Darmanin, nous poussons au développement d’un large mouvement regroupant toutes les forces qui veulent s’opposer aux politiques racistes du gouvernement. Tout en essayant de mobiliser partout de la manière la plus large, dans les écoles, dans les syndicats, nous pesons pour mettre au premier plan les collectifs locaux de sans-papiers. Là aussi, nous essayons d’articuler la nécessité du regroupement le plus large et la volonté de porter une ligne politique radicale.

De même, la bataille pour l’école peut devenir un sujet central dans les mois qui viennent. Il nous faudra mener campagne sur la question de la sélection sociale et pousser, en premier lieu dans les syndicats de l’Éducation nationale mais aussi dans les associations de parents d’élèves, à la mobilisation sur l’ensemble du territoire.

Cette politique de front unique, nous devons aussi la porter dans la sphère électorale. Même si nous savons que les masses sont de moins en moins mobilisées dans le cadre électoral, nous reconnaissons l’autonomie du champ politique. Les résultats électoraux, même s’ils ne sont qu’une réfraction partielle des rapports de classes, ont des effets en retour. Ils rendent légitimes à l’échelle de masse des idées et des perspectives politiques. Ils mettent en place des blocs politiques et sociaux qui peuvent représenter une source d’inspiration et d’espoir et sur lesquels s’appuyer pour lutter et résister. Le bilan de la gauche institutionnelle, intégrée et d’inspiration sociale-libérale, est sans appel. Et nous sommes les premiers à demander une rupture nette avec la gauche de type « hollandiste ». Autour de la FI se dégage une ligne politique qui porte des éléments de radicalisation (retraites, Palestine, migrations…) qui nous permettent d’envisager sérieusement des campagnes électorales communes et notamment aux Européennes qui auront lieu en juin prochain. Dans ce cadre, nous appelons au regroupement électoral des forces progressistes prêtes à affirmer une ligne de rupture avec le système libéral et les politiques autoritaires, austéritaires et racistes porté par le macronisme et l’extrême droite.

En effet, nos perspectives révolutionnaires ne peuvent exister que si les masses ont la capacité de s’en emparer. Nous ne visons pas qu’à regrouper les personnes qui sont déjà convaincues, nous avons la responsabilité de nous lier à la frange qui refuse le système actuel – et celle-ci, qu’on le veuille ou non, préfère actuellement utiliser LFI pour exprimer cette perspective – pour contribuer à son élargissement, sa mise en mouvement et sa radicalisation.