Depuis deux mois, maintenant, Philippe Poutou est le candidat du NPA. Nous l’avons interrogé sur son bilan de ce début de campagne, et notamment, sur ce qu’il pense du passage dans les médias. Comment apprécies-tu ces deux mois de pré-campagne ?Comme des millions d’anonymes, je n’étais pas prédisposé à devenir candidat à l’élection présidentielle. C’est une tâche militante très particulière que j’espère remplir le mieux possible. Les passages dans les médias et les meetings sont les plus délicats. Il n’est pas naturel de devenir le « visage » et le porte-parole d’une organisation. Les meetings sont l’occasion de rencontrer les camarades de villes différentes, de discuter, de partager des moments chaleureux. De même, les manifestations (antinucléaires à Rennes, anti-G20 à Nice, la commémoration du 17 octobre 1961…), les déplacements pour soutenir les luttes (maternité des Lilas, Fonderies du Poitou, Fralib…) permettent de vivre de chouettes moments de solidarité et de fraternité, tout ce qui constitue l’activité « ordinaire » d’un militant ouvrier. L’émission de Ruquier a suscité un flot de réactions sur Internet et dans la presse. Comment l’as-tu vécue ?J’ai été surpris par l’importance des réactions. Je n’ai pas vécu cette émission comme un piège. Je n’ai pas été humilié ! Certes, il y avait de la condescendance et sans doute du mépris de la part des journalistes. Il y a eu aussi cette belle leçon de prof d’Onfray. Mais tout cela n’est pas un scoop. Des donneurs de leçons, on en voit tous les jours, on rencontre partout des gens qui croient qu’un ouvrier c’est forcément « simpliste » ou « sectaire » et pas à la hauteur. La violence du mépris social n’est pas la plus criante sur un plateau télé ou radio. C’est dans notre quotidien, au travail, que nous subissons l’humiliation du patron, l’autorité mesquine d’un chef. Dans nos quartiers avec des conditions de vie de plus en plus précaires. Il faut donc relativiser. En clair, je n’ai pas perçu les participants comme des ennemis de classe. Rien à voir avec des politiciens ou des patrons. Cela ne signifie pas que j’ai maîtrisé la situation. Intimidé par l’enjeu, je n’ai pas toujours réussi à défendre des points de notre programme même si on tient compte des coupes opérées au montage dans mes réponses. C’est un manque d’expérience. J’ai eu beaucoup de retours très sympas dès le lendemain, par mail, dans la rue, au travail. Tu insistes sur la nécessité d’une campagne collective. Qu’en est-il ?La personnalisation dans ces élections est un gros problème. C’est à l’opposé de ce que nous sommes. Nous devons vivre avec ce paradoxe. Nous présentons un candidat alors que nous sommes contre le pouvoir présidentiel, contre le pouvoir d’un individu et savons qu’il n’est pas possible de représenter une organisation militante collective comme la nôtre avec un seul visage. Contraints de choisir un candidat, nous pouvons au moins résister sur tout ce qui va avec. C’est peut-être utopique, mais nous devons tout faire pour montrer une candidature collective, en mettant en avant plusieurs camarades, partout où nous intervenons, dans nos publications. Nous devons montrer que nous sommes un collectif, une organisation : les idées que je défends sont le résultat d’un travail collectif, d’expertEs, de milliers de militantEs. Notre force, c’est le collectif. Comment réagis-tu aux échos de la presse sur les difficultés et divisions du NPA ?Il est énervant (il faut bien l’avouer) de voir ces articles sur la crise du NPA alors que c’est d’une autre crise, la vraie, que nous aimerions parler. Cette élection doit être le moyen de défendre largement nos idées anticapitalistes, nos perspectives politiques. Les médias s’intéressent à nos débats internes comme s’ils étaient soucieux de nos difficultés. C’est un détournement malhonnête alors que nous sommes déjà handicapés par une présence réduite. Quel gâchis ! Nous sommes doués pour nous compliquer la vie. C’est terrible d’être interrogé sur les réflexions de camarades, dirigeants du NPA, affirmant que le candidat est ouvriériste et sectaire et s’entendre dire que « quand on a de tels amis dans son parti, on n’a pas besoin d’ennemis ! » Malgré les désaccords parfois profonds, j’espère que nous réussirons à faire la campagne ensemble, à retrouver au fil des mois l’unité qui nous manque. Je me dis que c’est largement possible et que tous ceux qui rigolent de l’agonie du NPA ne comprennent rien. Et dans ta boîte, comment ta candidature est-elle perçue ?Les copains, les collègues moins proches ont vu dans ma candidature un événement : un gars comme eux devenait candidat et allait passer à la télé. Énormément de collègues s’identifient à cette candidature. C’est un peu comme si j’étais leur candidat, le candidat des « Ford » et pas seulement celui du NPA. Des collègues qui ne votaient pas à gauche ou qui n’ont jamais voté disent qu’ils voteront pour moi. Ils me racontent des discussions dans leurs familles, avec leurs voisins. Les collègues n’auront jamais autant discuté des présidentielles, de politique car maintenant ils réagissent sur ce que je dis à la télé comme sur le droit de vote des immigrés, sur la démocratie, sur Strauss-Kahn, plus seulement sur les aspects personnels.
Propos recueillis par Robert Pelletier