Les semaines passent, et le mouvement des Gilets jaunes continue, tout comme la crise politique… Ces derniers jours ont été marqués à la fois par la grève du mardi 5 février et l’Acte 13 le samedi qui a suivi. Un moment charnière qui doit en annoncer d’autres.
C’est peu dire que les grandes directions syndicales sont aux abonnés absents depuis le début du mouvement des Gilets jaunes. Entre défiance vis-à-vis du mouvement et poussées identitaires mal placées, la direction confédérale CGT avait dû tout de même dégainer une première – et vraie – date d’appel à la grève, sous la pression conjuguée d’un mouvement de rue qui ne veut pas s’arrêter et d’un pouvoir qui ne veut rien lui céder.
Mardi rouge, samedi jaune
Dans les entreprises et les services publics, la préparation de ce 5 février aura été pour le moins contrastée, suivant les organisations syndicales (CGT, Solidaires, FO...) et les différents secteurs professionnels... Mais si la colère existe, les difficultés pour y donner corps, même dans un contexte de mécontentement généralisé, sont bien réelles. En conséquence, les secteurs grévistes, y compris dans des milieux traditionnellement combatifs (chez les cheminotEs, dans la santé ou l’éducation…), ont été minoritaires – loin de la journée de grève générale – même si beaucoup, 300 000 d’après la CGT, ont eu à cœur de se faire entendre dans la rue.
« Un 5 février réussi en rouge et jaune ! », clame la confédération au lendemain de la journée de mobilisation… Un peu déplacé au vu des taux de grévistes, de la façon dont la confédération a « compartimenté » la mobilisation, mais surtout de la panne de perspectives : des « mardis de l’urgence sociale » hebdomadaires dont on a bien du mal à saisir les contours, la journée du 8 mars, et enfin la possibilité d’une nouvelle journée de grève interprofessionnelle autour de la mi-mars...
Quelques jours plus tard, l’Acte 13 a confirmé la permanence de la colère jaune, même si les chiffres marquent globalement un petit recul : 58 600 pour l’Acte 12, 51 400 annoncés par le ministère de l’Intérieur à l’issue de ce samedi. Qu’importe, même si la dynamique marque un peu le pas – avec l’usure des samedis qui s’enchaînent depuis près de trois mois –, le mouvement continue… et va continuer, avec de nouveaux actes ces prochains samedis et sur différents ronds-points toujours tenus – ou « repris » – depuis la mi-novembre.
Un pouvoir fort de ses faiblesses
Depuis la mi-janvier, le pouvoir a tenté d’enfermer les Gilets jaunes dans un tunnel de plusieurs semaines autour du « Grand blabla ». Mais même de son point de vue, le bilan de la manœuvre reste mitigé. Les stratèges du macronisme ont effectivement réussi à mettre progressivement au second plan la contestation sociale et à remettre en scène sous le feu des projecteurs et des caméras un Macron éternellement en campagne, chemise et cravate incluses… Mais en renvoyant à la mi-mars l’issue de cet interminable débat, ils ont aussi créé une attente... qui ne pourra susciter que déception et colère, tant il est sûr que ce gouvernement ne va apporter aucune réponse concrète en matière d’égalité sociale, de justice fiscale ou de transformations démocratiques.
Dès lors, dans un contexte où la crise politique – avec les énièmes rebonds de l’affaire Benalla – s’approfondit, rien n’est joué. Pire – ou mieux –, en prolongeant démesurément ce calendrier sur lequel s’aligne logiquement la mobilisation, Macron a lui-même créé les conditions pour mettre sur orbite un vote sanction en mai prochain, soit directement dans le cadre des élections européennes, soit par un référendum à choix multiples autour de questions institutionnelles.
En attendant, le gouvernement fait ce qu’il sait faire le mieux : il cogne, au sens propre et figuré ! Ainsi, comme l’a confirmé il y a quelques jours le secrétaire d’État Olivier Dussopt, l’objectif reste bien de supprimer 120 000 postes de fonctionnaires d’ici la fin du quinquennat – une belle promesse de campagne du candidat Macron –, en particulier grâce aux « efforts » des collectivités locales… Et à peine quelques jours après avoir fait voter sa loi de droite baptisée « anticasseurs » – qui n’est en réalité qu’une loi « antimanif » –, il procédait encore samedi dernier à Paris à 45 arrestations, avec 42 mises en garde à vue, mutilant de nouveau un manifestant qui a eu la main arrachée par une grenade de désencerclement devant l’Assemblée nationale. Tout un symbole… Et quand Castaner ne voit dimanche lors d’une interview que « 133 plaintes et enquêtes » suite à des « dérapages policiers », le journaliste David Dufresne dénombre 417 signalements pour violences policières !
Résister, riposter
Si la semaine passée, la convergence des gilets jaunes et gilets rouges n’a pas été aussi féconde que ce que l’on aurait pu espérer, cela reste pourtant la voie à suivre pour que le mouvement contre Macron et toute sa clique continue de marquer des points. D’ailleurs, l’un nourrit l’autre : ainsi, dans sept grandes entreprises sur dix (selon une étude réalisée sur près de 150 grosses entreprises), des primes exceptionnelles ont dû ou vont être concédées par les patrons. Peur du jaune, peur du rouge, qu’importe : il faut continuer à pousser dans le même sens, toutes et tous ensemble !
Dans ce cadre, la répression n’arrive pas à éteindre la contestation mais elle rend les conditions de celle-ci plus difficile. Il est donc de la responsabilité de toutes les organisations du mouvement ouvrier, du mouvement social – syndicats, associations et partis politiques – de construire une riposte unitaire contre le bras armé du pouvoir, pour l’interdiction des flashballs, des LBD 40, des grenades de désencerclement, pour la liberté de manifester. Au-delà, comme l’a montré une nouvelle fois la perquisition organisée dans les locaux de Mediapart le 4 février, ce sont bien l’ensemble des libertés fondamentales que ce pouvoir menace dangereusement.
Ultra-capitalisme et autoritarisme, voilà de quoi le macronisme est le nom. Mais derrière les leçons assénées à un public trié sur le volet dans le cadre des grands débats médiatiques, Macron n’est plus aussi droit dans ses bottes qu’il y a quelques mois. Le roquet a perdu de sa superbe. Reste à lui faire ravaler toute sa politique.
Manu Bichindaritz