La séquence 27 avril-1er Mai-9 mai est un test, tant pour le gouvernement que pour le mouvement social et les mobilisations en cours.
Pour le gouvernement, il s’agit de faire la démonstration que Macron a réussi à reprendre la main, objectif qu’il n’avait pas atteint en décembre dernier. Pour le mouvement social l’enjeu est, au-delà des décomptes de manifestantEs, de faire des pas en avant dans la construction et la mise en lien, la coordination des différentes luttes.
Face à un gouvernement qui n’est pas si fort…
Le premier fait à rappeler est que Macron n’aurait pas été obligé de nous infliger deux heures et demie de logorrhée si, depuis des mois, la mobilisation multiforme des Gilets jaunes n’avait pas occupé le devant de la scène et allumé l’espoir qu’il est possible d’ébranler ce pouvoir qui se veut si droit dans ses bottes. C’est la détermination de dizaines de milliers de femmes et d’hommes, confortés par la sympathie qui s’exprime au quotidien vis-à-vis d’elles et eux, qui a contraint Macron à mettre les formes, pour dire que peut-être il avait été un peu vite, que peut-être il n’avait pas vu certaines préoccupations vitales, que peut-être il allait revenir sur certaines promesses électorales (comme les 120 000 suppressions d’emplois dans la fonction publique)… On n’est absolument pas obligé de lui faire le crédit de la sincérité, mais il est d’autant plus important d’avoir clairement conscience des rapports de forces en présence. Surtout que la déconsidération et le mépris, marque de fabrique de Macron et ses affidés, est bien loin de disparaître. Castaner faisant de l’explication de texte sur France Info le lendemain matin de la grand-messe de Macron, expliquait ainsi que le discours présidentiel ne convaincrait pas les Gilets jaunes parce que Macron s’est adressé « aux Français, pas aux 30 000 manifestants », et que « ceux qui manifestent le samedi, ce n’est pas le peuple », mais « des excités ». Puis, en pleine prophétie auto-réalisatrice, Castaner et son ministère ont compté les manifestantEs samedi 27 avril, et ils sont arrivés au total bienvenu de 23 600 dont 2 600 à Paris, cherchant à boucler la boucle de la démonstration de l’efficacité du discours présidentiel.
Nous ne nous laisserons pas enfumer
L’enfumage est évident pour toutes celles et tous ceux qui étaient dans la rue le 27 avril, dans les différentes villes. Au-delà des obstacles qui se multiplient pour empêcher les gens de se regrouper, entre interdictions de manifester dans de nouvelles villes chaque semaine et contrôles préventifs (la préfecture de l’Eure annonce, par exemple 1 250 contrôles de véhicules en amont d’une manifestation où elle a compté 300 manifestantEs à Évreux !), il faut également avoir en tête le chiffre de 60 132 manifestantEs annoncé par le Nombre Jaune, bien plus proche de la réalité.
Mais le fait politique de cette journée et qui va être encore plus visible le 1er Mai, c’est qu’à Paris et dans plusieurs villes, pour la première fois des appels communs entre Gilets jaunes, organisations syndicales et politiques ont réuni plusieurs milliers de manifestantEs, mêlant les gilets, les drapeaux et les sigles des unEs et des autres. Ce n’est certes pas le déferlement, et on ne peut pas dire que ce soit à la hauteur des enjeux, mais il faut rappeler que ce ne sont pas des confédérations ou des unions syndicales, mais des structures syndicales (fédérations ou unions départementales) qui ont assumé cette démarche indispensable pour dépasser l’éparpillement façon puzzle des luttes dont le gouvernement cherche à tirer profit. L’affluence des Gilets jaunes dans ces cortèges témoigne de la possibilité de commencer à surmonter les défiances, dès lors que les forces organisées consacrent du temps et de l’énergie à travailler à la convergence.
Le 9 mai : construire des revendications communes dans la lutte
La prochaine étape sera le 9 mai. Le discours de Macron lui donne une importance particulière, puisqu’il a, pour la première fois, émis l’hypothèse de revenir sur les 120 000 suppressions d’emplois de fonctionnaires, sous la pression imposée par les Gilets jaunes qui affirment leur besoin de services publics. Ce qui ne garantit rien, mais marque un pas en avant et montre le terrain sur lequel il peut être possible de remporter une victoire contre ce gouvernement. L’enjeu est de transformer ce qui n’était qu’une journée intersyndicale de dénonciation de la casse des services publics, en une grande journée de revendication des salariéEs (fonctionnaires ou contractuelEs) et des usagerEs (Gilets jaunes, parents d’élèves, retraitéEs…) pour des services publics répondant aux besoins de la population.
Pour construire et imposer ces revendications, il faudra organiser ensemble des AG qui fassent le point des besoins et des difficultés, des grèves, des journées de blocages. La marche est haute car les besoins sont immenses vu la désorganisation et la mise à l’os des services publics sous l’effet des politiques menées ces 20 dernières années. De l’école aux hôpitaux en passant par la SNCF ou La Poste, les postes supprimés, l’accumulation des tâches, le management 3.0, la dématérialisation… vident de sens le travail des salariéEs, poussent aux burn-out et aux gestes de désespoir tout en suscitant la colère de la population.
Pour lutter contre le chômage de masse, il y a une solution immédiate et efficace : embaucher dans les services publics, augmenter les salaires. C’est ce projet collectif que Gilets jaunes, syndiquéEs ou non, salariéEs du public et du privé, nous pouvons commencer à construire ensemble le 9 mai, et pour lequel il nous faut envisager un plan de mobilisation à travers les échéances des prochains actes du samedi, mais aussi d’autres dates de grèves à construire tous et toutes ensemble.
Cathy Billard