Le prochain congrès du RN, prévu le 5 novembre, sera l’occasion d’un certain renouvellement symbolique à sa tête. Pour la première fois de son histoire (commencée en octobre 1972), à compter de cette date, le principal parti de l’extrême droite française n’aura plus un membre de la famille Le Pen officiellement à sa tête. Ce qui ne signifie pas pour autant un changement de ligne…
Si Jean-Marie Le Pen — âgé de 94 ans — est écarté du FN devenu RN depuis 2015, ce n’est que récemment que sa fille Marine Le Pen s’est éloignée d’elle-même de la présidence du parti. Ce n’est toutefois pas un signe de résignation politique, bien au contraire. Depuis son score de 41,5 % au second tour de l’élection présidentielle de 2022, Marine Le Pen se sent confortée, encouragée, revigorée. Le doute ne l’habite guère. Mais depuis le succès du parti aux législatives de juin 2022, qui l’a vue entrer à l’Assemblée nationale avec 88 députéEs — un record historique, Marine Le Pen a fait le choix de mettre toutes ses forces sur le groupe parlementaire du RN. C’est là que les choses essentielles se passent, selon elle, attirée par la lumière médiatique qui entoure cette nouvelle tribune du RN qu’il a su vraiment occuper pour la première fois. Cela d’ailleurs au prix d’un certain recentrage du parti autour de ses fonctions parlementaires, qui pourrait se faire au détriment de sa présence extra-institutionnelle, même s’il est trop tôt pour le diagnostiquer avec certitude.
Bardella vs Aliot ?
Du coup, elle a fait le choix de laisser la présidence du parti durablement à d’autres. Deux candidats ont présenté leur candidature à sa succession, deux équipes s’affrontent. Si l’affrontement entre ces deux clans relève en bonne partie de la mise en scène et de la lutte pour les places entre personnes — sans profondeur idéologique, les dernières semaines les ont vus mettre en avant quelques choix qui leur permettent de présenter des trajets alternatifs au public, pour réveiller un minimum de passion chez ce dernier.
Si Jordan Bardella (27 ans), qui passe jusqu’ici pour le mieux placé, probable dauphin désigné de Marine Le Pen, évite d’utiliser les mots « grand remplacement », il n’est jamais très loin d’affirmer la prétendue réalité du concept. Il choisit simplement des synonymes pour le décrire. Quitte à enfreindre la ligne tracée par Marine Le Pen elle-même qui déclarait en 2014, dans le Journal du dimanche, que ce concept relevait trop de la théorie du complot pour être ouvertement affirmé. Rappelons que le concept de « grand remplacement », popularisé dans la droite et l’extrême droite françaises d’abord par l’écrivain Renaud Camus, a surtout été repris activement par Éric Zemmour au cours de la campagne présidentielle 2022.
Au contraire, ne serait-ce que pour des motifs tactiques, Louis Aliot, le maire de Perpignan âgé de 53 ans, est allé récemment jusqu’à affirmer que « rien » parmi les idées formulées par Éric Zemmour ne pouvait être soutenu par le RN. « Rien ». La formulation relève, bien évidemment, du show : le socle idéologique commun entre le RN et le zemmourisme est plus important que ce qui sépare, d’abord pour des raisons tactiques, les deux formations (RN et « Reconquête ! »).
D’ailleurs, si Zemmour s’est également démarqué du RN par un penchant plus conservateur et libéral en matière économique et un rejet de la démagogie sociale mise en avant par le RN — par strates et plus ou moins affirmée selon les périodes — à répétition depuis 1995, ce choix n’est pas trop pour déplaire à Aliot, qui a lui-même pris la ville de Perpignan, en 2020, en avançant sur une politique d’alliance avec la bourgeoisie de droite locale et les classes moyennes. La démagogie sociale dans le discours du RN étant traditionnellement nettement plus mise en avant dans ses zones d’ancrage des Hauts-de-France et en Lorraine que dans ce sud de la France où Aliot tient, désormais, la plus importante (numériquement) des municipalités RN.
Un « Bad Godesberg » à la droite de la droite ?
Surtout, si Zemmour apparaît comme un parangon de l’extrême droite tendance OAS et occidentaliste (à la différence de celle qui chercherait plutôt l’alliance avec tous les nationalismes qui se réveillent), ce n’est pas là, non plus, un point de distinction avec Aliot qui vient de s’illustrer par la décision de nommer une artère de la ville de Perpignan du nom de Pierre Sergent, ancien dirigeant OAS, aussi ancien député FN.
Si Aliot se démarque ainsi verbalement d’Éric Zemmour, c’est ainsi avant tout le symbole d’une volonté de prendre ses distances avec des « marqueurs de radicalité ». D’autant plus qu’Aliot a aussi proclamé, tout aussi symboliquement, sa volonté d’aller vers un « Bad Godesberg » à la droite de la droite, autrement dit un congrès de recentrage à l’image de celui du SPD allemand en 1959.
Il y a également la question de l’antisémitisme. Aucun des grands courants à l’intérieur du RN ne s’en revendique explicitement et ouvertement. Mais toujours est-il qu’il a joué un rôle important dans l’histoire du parti — au cours de certaines périodes sous la direction de Jean-Marie Le Pen, il ne se dissimulait guère, et il inspire toujours ses franges complotistes. Mais l’un des clans qui se battent pour la direction du parti va plus loin, aujourd’hui, dans la mise à distance de cette idéologie qui connaît un ancrage ancien dans les milieux d’extrême droite. C’est ainsi qu’Aliot a invité, le 13 octobre 2022, les époux Serge et Beate Klarsfeld, deux personnes qui ont longtemps symbolisé la lutte contre l’antisémitisme et les anciens nazis, pour leur remettre une médaille à Perpignan. Si cela a suscité de forts débats dans les milieux juifs, cela fait aussi tousser certains milieux d’extrême droite, même s’ils ne peuvent l’affirmer trop fortement. Aliot est ici seulement égal à lui-même, puisqu’il avait affirmé à des journalistes, en 2014, que le soupçon d’antisémitisme constituait « le seul verrou » empêchant le RN de prendre la route du pouvoir...